RIP Gorbatchev : disparition d’un héros malgré lui

Gorbatchev avec Reagan lors d’un sommet à Washington DC en 1987

On peut devenir un grand homme par accident, même parfois contre son gré. Mais rarement totalement par hasard.

Mikhaïl Gorbatchev, qui dirigea l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) de 1985 à 1991, et mort le 30 août 2022, fournit une bonne illustration de ce type.

L’Occident le célèbre pour avoir, entre autres, adouci le versant expansionniste et menaçant (retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan en 1988, acceptation de la réunification allemande en 1989, traité de désarmement « Start I » signé avec Reagan en 1991), mais aussi dirigiste et totalitaire (les réformes économiques et le soupçon de libéralisme introduits par les réformes englobées sous les vocable russes « Glasnot » et « Perestroika« ) du régime soviétique, et pour avoir reconnu, après un demi-siècle de dénégations, la responsabilité de l’URSS dans le massacre en 1940, dans la forêt de Katyn, de plusieurs milliers d’officiers polonais, que son armée avait capturés après avoir envahi la partie orientale de la Pologne à la suite de l’Allemagne nazie en septembre 19391. Pour tout cela, nous lui sommes infiniment redevables.

Mais il n’a sûrement voulu ni la fin, ni l’éclatement de l’URSS, consommés fin 1991 et qui l’acculèrent à la démission le jour de Noël 1991. Un enchaînement de facteurs en fut la cause, parmi lesquels l’ambition du nouveau président de la fédération de Russie (élu au suffrage universel en 1991 et désireux de se délester du poids de l’empire pour mieux servir la cause de la patrie russe, un peu comme de Gaulle en France entre 1960 et 1962), et la volonté farouche d’indépendance de l’Ukraine (qui avait réclamé mais en vain son indépendance dès 1918 dans les coulisses des négociations de Versailles2) pesèrent très lourd.

C’est pour ces raisons que ce héros fêté par l’Occident le fut malgré lui (on sait d’ailleurs que les Etats-Unis ne souhaitaient pas au début la disparition de l’URSS, inquiets qu’ils étaient quant à la dissémination des armes nucléaires soviétiques entre une pluralité d’Etats nouveaux —c’est la Russie qui finalement hérita de l’intégralité de l’arsenal nucléaire soviétique).

Le très beau livre de l’historien d’origine ukrainienne et aujourd’hui professeur à Harvard, Serhii Plokhy (Le dernier empire: les derniers jours de l’Union soviétique) fait le récit détaillé, saisissant et toujours passionnant de la fin de l’URSS.

Malheureusement, l’indépendance des 15 républiques soviétiques a semé des germes d’instabilité, dont la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine (initiée dès 2014 avec l’annexion déguisée d’une grande partie du Donbass et celle —de jure— de la Crimée) manifeste la puissance dévastatrice.

Sa mort n’aura pas épargné à Mikhaïl Gorbatchev le spectacle tragique de l’anéantissement peut-être total de son oeuvre orchestré par Vladimir Poutine : celui d’un régime fasciste néo-impérialiste souhaitant recréer une mini-URSS et défier l’Occident, au besoin par la guerre.

Ce nouveau malheur russe3 est aussi une tragédie pour le monde.

PS: pour aller plus loin, cette conférence de Pierre Verluise, Docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.

Notes :

  1. En vertu des clauses secrètes du pacte germano-soviétique d’août 1939, qui prévoyait un partage de la Pologne entre les deux puissances totalitaires. ↩︎
  2. Cf. l’excellent livre de l’historienne canadienne Margaret McMillan : Peacemakers: The Paris Peace Conference of 1919 and Its Attempt to End War. 2003. Publié en français en 2014 par Autrement sous le titre Vers la grande guerre : Comment l’Europe a renoncé à la paix. ↩︎
  3. Titre d’un livre de l’historienne et académicienne Hélène Carrère d’Encausse, disparue en 2023 : Le Malheur russe, essai sur le meurtre politique. 1988. ↩︎

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