La France n’est pas ingouvernable jusqu’à …preuve du contraire

Le Président Macron – réélu pour un second mandat le 24 avril 2022 – n’a pu conserver sa majorité à l’Assemblée Nationale lors des élections législatives des 12 et 19 juin (1)(2). 

Ceci a ouvert un cas de figure inédit de cohabitation (3) sous la Vè République. En effet, tous les précédents épisode de cohabitation s’étaient ouverts en cours de mandat présidentiel, que ce soit 1986 (sous Mitterand I), 1993 (sous Mitterand II), et 1997 (sous Chirac I).

D’ailleurs, il ne s’agit pas exactement d’une cohabitation dans la mesure où le peuple français n’a pas envoyé en juin dernier une majorité nouvelle, mais une constellation d’oppositions incapables de s’unir autour d’un projet et d’un chef communs (comme en 1986, 1993 et 1997).

Les premiers mois de cette nouvelle cohabitation ont néanmoins montré que le pays n’est pas ingouvernable en dépit de l’absence d’une majorité parlementaire reconnaissant le Président pour son chef.

Certes, le Gouvernement qui exceptionnellement n’a pas sollicité la confiance de l’Assemblée par un vote formel (qui sans doute aurait été de rejet), a pris garde de ne présenter que des textes ne portant pas sur des réformes de structure (comme les retraites) ou touchant les sujets sociétaux (comme la légalisation de l’euthanasie), mais répondant à l’urgence comme la loi sur le pouvoir d’achat, et de ce fait moins susceptibles de créer des oppositions dures.

Il n’empêche que nonobstant des extrêmes très renforcés par rapport aux mandatures précédentes (poussée de la NUPES (4) à gauche et du Rassemblement national à droite, qui obtient un nombre record de députés (5)), le Gouvernement appuyé par les groupes Renaissance et ses alliés d’Horizon et du Modem (249 députés au total) a pu faire approuver, non certes sans mal et sans cris, trois textes : le projet de loi sur le pouvoir d’achat, le budget rectificatif et le projet de loi sanitaire.

Il a pu y parvenir grâce essentiellement au soutien du groupe Les Républicains (LR)(62 députés), que ce dernier a dûment monnayé contre l’adoption d’amendements qui lui tenaient à coeur. Ce parti-pris louable de responsabilité républicaine (ne pas paralyser le pays) est néanmoins risqué, car il floute encore plus l’image de LR dont l’identité idéologique est à reconstruire. C’est sans doute parce que LR est conscient de la nécessité de cette reconstruction préalable (et accessoirement celle de se trouver les chefs capables et crédibles qui lui manquent cruellement – on l’a vu à la Présidentielle), et donc n’a pas d’intérêt à précipiter une dissolution dont il ne tirerait aucun avantage, qu’il s’est résolu à ce pis-aller d’un soutien conditionnel et à géométrie variable, dont il espère que l’opinion lui saura gré malgré tout.

Pour autant, si le Gouvernement a su rester à flot en navigant à la godille au cours de ces trois premiers mois, ce n’est pas exonérer le système constitutionnel actuel – celui du “régime semi-présidentiel” brillamment théorisé par Maurice Duverger – de ses déficiences, voire de ses tares, qui sont considérables. Ceci fera l’objet d’un prochain billet.  

(1) La République en marche (LREM), rebaptisée Renaissance en mai 2022. LREM avait déjà perdu la majorité absolue en mai 2020 en raison de la constitution d’un nouveau groupe, Écologie démocratie solidarité, créé par des transfuges de LREM, mais le Gouvernement pouvait par ailleurs bénéficier de l’appui des groupes MODEM et Agir. 

(2) On rappelle que le Sénat est contrôlé par une majorité LR, UDI et divers droite. 

(3)  “Cohabitation » désigne dans le langage politique français sous la Vè République (depuis octobre 1958) une configuration politique où le Président élu (depuis la réforme de 1962 et surtout l’élection de 1965) ne dispose pas d’une majorité stable à l’Assemblée Nationale, mais fait face à une majorité d’opposition dont il doit nommer le chef comme Premier ministre qui dès lors applique son programme et cantonne le rôle du Président à ses fonctions strictement régaliennes, et encore avec des nuances. 2022 a créé un nouveau type de cohabitation, dans la mesure où l’opposition est désunie.

(4) Nouvelle union populaire écologique et sociale, alliance de La France insoumise (LFI), du Parti socialiste (PS), du Parti communiste (PC) et de Europe Ecologie Les Verts (EELV), créée avant et pour les élections législatives de juin 2022.

(5) 171 députés pour la NUPS, qui a formé un “intergroupe” à l’Assemblée Nationale, et 89 pour le RN sur un total de 577 députés.

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