
Pas d’autonomie locale sans ressources financières propres, c’est à dire des recettes dont les collectivités locales ont la liberté de déterminer le produit (fût-ce sous certaines limites).
Depuis des années, l’autonomie fiscale 1 s’est réduite comme peau de chagrin en France. De plus en plus d’impôts dont les collectivités pouvaient fixer le taux ont été remplacés par des dotations d’Etat ou d’autres impôts nationaux partagés dont les taux sont fixés par le législateur national et l’assiette n’est pas territorialisée.
C’est ainsi par exemple que la loi de finance pour 2018 a supprimé la taxe d’habitation (TH) pour 80% des Français. A la suite d’une exigence du Conseil constitutionnel (au nom du principe d’égalité), cette suppression sera complète en 2023 pour l’ensemble des Français.
Encore cette suppression ne concerne t-elle que les résidences principales ; les résidences secondaires restent redevables de la TH, comme s’il n’y avait plus d’habitation que secondaire… 2
Cette réforme promise par le candidat Macron dans son programme de 2017 était un génial coup politique. La TH était le seul impôt direct que payaient encore la quasi-totalité des Français (l’impôt sur le revenu est acquitté par à peine 45% des ménages). Inutile de leur demander s’ils approuveraient. Qui refuserait la disparition d’un impôt au détriment des 20% « aux revenus les plus élevés », lesquels, étant toujours minoritaires, sont condamnés au rôle de sempiternelle victime sacrificielle de la démocratie 3 ? Comme l’écrivit Bernard Shaw : « Un gouvernement qui vole Pierre pour payer Paul peut toujours compter sur le soutien de Paul » 4.
Ayant retiré une ressource aux collectivités locales, l’Etat devait la leur compenser, ce qu’il a fait pour l’immense majorité des communes via un transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et un mécanisme de correction.
C’est une réforme inepte.
Certes, la TH, comme tous les impôts locaux assis sur des « valeurs locatives » estimées, était très critiquée. Non sans raison : les valeurs locatives actuelles n’ont plus aucun rapport avec la valeur réelle des propriétés. Mais on lui faisait aussi le grief d’être inégalitaire ; de façon excessive, car la taille et l’emplacement de la maison sont souvent corrélés au pouvoir d’achat et donc à la capacité contributive, et les écarts de charge fiscale d’une ville à l’autre étaient bien davantage dûs aux choix politiques inégalement dépensiers des édiles qu’à une tare intrinsèque de la TH. Personne d’ailleurs ne s’émeut de l’iniquité de la TFPB assise pourtant sur les…mêmes valeurs locatives 5 6.
On se retrouve donc avec un système complexe, illisible, et…toujours injuste, car les locataires ne paient plus rien à leur collectivité en contrepartie des services rendus ; et parce que le lien entre action municipale, son coût et l’impôt qui le finance ayant été sectionné, ils ne sont plus à même d’exercer véritablement leur rôle de citoyen, par exemple en sanctionnant dans l’urne la gabegie d’une collectivité trop dépensière. Et l’autonomie financière des collectivités locales en a pris un (nouveau) coup 7.
Poursuivant jusqu’à son terme logique la critique de M. Macron, il n’aurait pas été absurde d’en finir avec tous les impôts locaux basés sur les valeurs locatives, et dans le même mouvement de supprimer cette anomalie qu’était la superposition de deux taxes ayant le même objet et la même assiette : la TH et la TFPB. La France était pratiquement le seul grand pays cumulant une taxe sur le propriétaire et une taxe sur l’occupant (la même personne dans 60% des cas en France !). Si la TH est injuste, alors la TFPB l’est au carré !
Ma proposition serait de remplacer toutes ces taxes locales sur les personnes par un impôt résidentiel, additionnel à l’impôt sur le revenu (impôt local sur le revenu, ILR).
Il y a trois avantages majeurs à cette solution :
– l’assiette est claire et déjà existante : c’est l’assiette de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IR), non mitée par les niches fiscales ; rappelons que chaque contribuable / foyer fiscal doit remplir une déclaration annuelle des revenus, même celui dont le revenu est inférieur aux seuils d’imposition (à l’impôt national sur le revenu) ;
– l’assiette est vraiment représentative de la capacité contributive, puisqu’il s’agit de l’ensemble des revenus (sans niches fiscales) ;
– elle contribuera à restaurer l’autonomie financière largement écornée de nos communes.
Les élus locaux fixeraient un taux unique d’ILR (plafonné pour limiter le matraquage) selon le produit fiscal global dont ils ont besoin pour équilibrer leur budget, et calculé en divisant ce produit par l’assiette. Par exemple, à Cholet où j’habite, l’assiette global (revenu fiscal de référence) était de 831 M€ en 2020 8, et le produit fiscal voté par la commune de l’ordre de 40M€. Le taux unique d’ILR serait donc de l’ordre de 5% 9 10.
Cette solution soulève cependant trois questions délicates :
1) Faut-il que cet impôt local soit progressif, comme l’est l’IR national ?
Ma réponse est non : le cadre de la redistribution est le cadre national – une fonction de l’Etat que même les penseurs libéraux lui reconnaissent, même s’ils aimeraient qu’il n’en abusât point. Il ne revient pas aux élus locaux – élus investis d’un mandat de terrain – de lui juxtaposer une redistribution dans le cadre local.
D’ailleurs, la logique même du taux unique appliqué à des revenus variables débouchera sur un niveau d’imposition différent selon les revenus. Un salarié au SMIC paierait (à Cholet) environ 800€ par an, tandis qu’un cadre supérieur gagnant 50 000€ nets, paierait 2 400€ (dans l’IR, les premiers sont exonérés, tandis que les cadres supérieurs paient beaucoup plus – c’est la progressivité). Cela veut dire aussi que, contrairement à l’IR que ne paient plus qu’environ 45% des ménages français (une dérive fâcheuse accentuée sous François Hollande), l’IRL serait payé par tout le monde, selon son revenu, sauf abattements et décotes possibles pour les personnes les plus démunies 11. Chacun se sentirait réellement citoyen-contribuable, et chacun se rendrait compte du coût réel des politiques locales 12.
La comparabilité des niveaux d’imposition locale d’une commune à une autre, permise par l’homogénéité de l’assiette (un revenu imposable de tant) 13 y gagnerait également, alors qu’actuellement l’opacité règne.
2) Faut-il prendre en compte le nombre de personnes composant le foyer ?
L’IR donne à cette question une réponse positive via les quotients conjugaux et familiaux, certes largement rabotés depuis plusieurs années, et pour lesquels une solution plus juste serait d’appliquer des abattements identiques par personne à charge (ou sans revenu).
Mais, dans le cadre local, chaque individu est consommateur de services municipaux ; plus la famille est grande, plus il y a de consommateurs. Cela n’est vrai, cependant, que pour certains services. Pour tout ce qu’on appelle les biens publics, comme l’éclairage dit public, les espaces verts, les trottoirs et rues, la consommation de service public local n’est pas fonction du nombre de consommateurs. Pour d’autres, en revanche, classes des écoles, soutien aux associations sportives, cimetières, etc., le coût est fonction du nombre d’usagers, pratiquants, utilisateurs.
Bref, c’est une question complexe, qu’il faudrait étudier avant de décider une modulation de l’imposition suivant le nombre de personnes composant un foyer. Une réforme de la politique familiale et des aides au logement serait utile également, car trop souvent en France on veut réformer sans tenir compte du « système » dans lequel toutes ces pièce s’imbriquent et inter-agissent.
3) Comment aider les collectivités les plus pauvres ?
Ce sujet n’est pas nouveau et l’inégalité de potentiel fiscal est déjà corrigée aujourd’hui par des mécanismes de péréquation dont le principe est reconnu dans la Constitution (article 72-2). Il est clair qu’il faudra étudier les effets redistributifs de cette réforme et modifier, le cas échéant, l’ampleur et les formes de la péréquation 14. Gageons que les revenus fourniront une boussole plus fiable que des valeurs locatives qui remontent à des décennies !
Que ces quelques difficultés ne dissuadent pas d’explorer une réforme dont les mérites manifestes paraissent largement éclipser les éventuelles faiblesses.
Notes :
- La révision constitutionnelle du 2 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République a introduit un principe d’autonomie financière des collectivités. Cette autonomie financière, telle que définie, a augmenté, mais comme la Cour des comptes l’a observé : « Définie de manière large, cette catégorie de ressources propres a vu sa composition évoluer fortement avec une progression de la part des impôts nationaux partagés dont les taux sont fixés par le législateur national et l’assiette n’est pas territorialisée, en substitution à des impôts locaux sur lesquels les élus avaient une maîtrise plus forte ». [Mais] « la notion d’autonomie fiscale n’a quant à elle jamais été consacrée par le Conseil constitutionnel » [et cette] « autonomie fiscale est aujourd’hui très faible : réduite pour les régions au seul maintien de la fiscalité « cartes grises » et limitée à l’échelon départemental à la fixation du taux des droits de mutation à titre onéreux, elle ne bénéficie plus qu’au seul bloc communal grâce au pouvoir de taux sur les impôts fonciers ». (Cour des comptes, Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d’évolution, octobre 2022, https://www.ccomptes.fr/system/files/2022-10/20221012-financement-collectivites-territoriales_0.pdf). ↩︎
- C’est l’Etat qui reçoit ce résidu de TH. ↩︎
- Rappelons que le Conseil constitutionnel a considéré que le traitement ainsi réservé aux ménages les plus aisés violerait le principe d’égalité, et le Gouvernement a dû se résoudre à en exempter la totalité des Français. ↩︎
- George Bernard Shaw, Everybody’s Political What’s What? (1944). ↩︎
- Sans doute parce qu’un propriétaire est présumé être plus riche qu’un locataire, ce vice d’incohérence intellectuelle est purgé. ↩︎
- Une étude de l’INSEE de décembre 2023 a de surcroît montré que la TFPB est un impôt régressif : son poids en pourcentage du revenu disponible des ménages diminue à mesure que leur patrimoine immobilier augmente. ↩︎
- Rappelons que le consentement à l’impôt est au principe de la démocratie occidentale. La démocratie parlementaire est née d’une revendication du ‘peuple’ de pouvoir approuver les contributions que lui demandait le pouvoir royal, et de la réalisation par ce dernier que cette concession était le prix politique à payer pour lever les ressources dont il avait besoin. Cf. Gabriel Ardant, Histoire financière de l’antiquité à nos jours (Gallimard, 1976). ↩︎
- 953 M€ en 2023. ↩︎
- A partir de 2025, il faudra tenir compte de la nouvelle taxe foncière prélevée par Cholet Agglomération au taux de 3%. ↩︎
- Les communes où se trouvent des résidence secondaires seraient autorisées à voter un taux additionnel (mais plafonné.) Des abattements pourraient être consentis pour tenir compte des circonstances de chacun, mais une contribution même symbolique serait requise dans tous les cas. ↩︎
- Sur le mécanisme de la décote, qui existe déjà pour l’IR, cf. ici. ↩︎
- Précisons que les tarifs des services publics communaux ne couvrent que très partiellement (entre 10 à 30%) la charge totale supportée par une commune et donc financée par l’impôt. ↩︎
- Corrigé le cas échéant par des exonérations et abattements (pour famille nombreuse, etc.) décidés par le conseil local sous des plafonds fixés par la loi (pour éviter le clientélisme). ↩︎
- La réforme de la Dotation globale de fonctionnement (DGF) – principal concours financier de l’Etat aux communes – devrait, dans un proche avenir, apporter enfin une réponse plus efficace au défaut de réelle péréquation en France. ↩︎
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