
Je parlais tout récemment avec une amie allemande de Berlin qui me résumait ainsi l’état d’esprit de ses compatriotes en ce moment délétère de crises multiples : agressivité et dépression.
Je crois que les Français, qui ont une aptitude particulière à la morosité et à l’énervement, ne sont pas loin d’exhiber ces deux humeurs.
L’Occident, et particulièrement l’Europe, se trouve à l’épicentre de plusieurs défis ou menaces dont les feux croisés suscitent l’angoisse :
La pandémie de la Covid 19, dont les conséquences les plus visibles et les plus sévères (confinement, masques, passes sanitaires, tensions sur les lits de réanimation) ont momentanément disparu, mais qui continue d’opérer dans l’ombre et de tuer.
La guerre en Ukraine, sur les confins orientaux de l’Europe, qui nous affecte de multiples façons : exil de millions de personnes, impact sur l’économie des sanctions décidées contre la Russie, coût direct de l’aide militaire et financière à l’Ukraine, crise alimentaire, crise énergétique (gaz surtout), et menace brandie de l’utilisation de l’arme nucléaire par un pouvoir russe aux abois.
L’inflation (10% en rythme annuel en Allemagne et en Grande-Bretagne, un peu moins en France) que nous pensions avoir matée depuis 30 ans et qui redresse la tête, notamment à la faveur des tensions sur les marchés alimentaires et énergétiques. L’inflation a un effet radical et mécanique : elle érode la valeur réelle des revenus, c’est à dire le pouvoir d’achat. Elle instille la crainte que nous ne pourrons plus nous offrir certaines choses, ou tout simplement payer les factures ou achats incontournables que sont le chauffage, l’électricité, etc. Conjuguée à la crise éducative, elle engendre la peur d’un déclassement économique et social que certains auteurs (1) voient déjà se matérialiser dans notre pays.
Le défi climatique : une bombe à fragmentation et à mèche lente dont on sait avec une quasi certitude qu’elle explosera si l’Occident continue de faire semblant, comme il le fait en dépit de tous les beaux discours. Certains auteurs commencent à parler d’effondrement de la civilisation occidentale, et même de 6ème extinction massive, et ceci totalement du fait et de la faute de l’homme (2).
La montée en puissance économique et militaire d’une Chine de plus en plus totalitaire, nationaliste et ouvertement ambitieuse, sinon agressive, ne laisse pas non plus d’inquiéter, car il est rare que deux puissances hégémoniques n’en viennent pas un jour aux hostilités ouvertes, même “froides” (comme on parla de la guerre froide). Une attaque contre Taiwan, qui bénéficie d’une protection militaire américaine explicite (ce qui n’était pas le cas de l’Ukraine), pourrait en être le détonateur. Au delà des ambitions irrédentistes sur Taiwan et de la répression de la population musulmane majoritaire Ouïghour au Xinjiang , ce qui inquiète le plus dans la Chine de Xi Jinping, c’est la reprise en main de la société et de l’Etat par le Parti communiste chinois, la fermeture des quelques espaces de liberté, notamment d’expression, qui avaient pu s’ouvrir jusque vers 2010, et la mise en place de mécanismes de surveillance et de contrôle social d’une puissance inouïe, dont l’excellent livre du journaliste allemand Kai Strittmatter, Dictature 2.0, brosse un tableau terrifiant (3).
L’immigration, galopante, non consentie, non choisie, non contrôlée, qui se déverse sur l’Occident et qui menace la pérennité de notre peuple et de notre identité nationale, c’est à dire nos valeurs et nos modes de vie, tout en s’accompagnant d’une montée de l’insécurité dans nos villes.
L’hypertrophie de l’Etat, qui se sert de chaque crise (terrorisme, Covid, etc.) pour étendre son emprise sur nos vies, et enfler la dépense publique, la ponction fiscale et la dette, ce qui engendre à son tour une dévitalisation et une infantilisation de la société, un recul des libertés, et un désenchantement généralisé à l’égard de la démocratie et de la classe politique.
Et il y a enfin ce ver qui nous ronge de l’intérieur, qui sape nos institutions et nos valeurs, notre histoire, nos oeuvres, nos auteurs, et même notre mathématique, et qui n’est pas autre chose qu’une Guerre contre l’Occident, selon le titre du dernier livre (brillant et incisif) de l’essayiste britannique Douglas Murray (4), —c’est à dire le délire woke, sur lequel j’ai écrit par ailleurs sur ce blog (lien).
(J’arrête ici cet inventaire, qui est assez effrayant)
Chacun ne perçoit pas de la même façon tous ces défis et menaces, qui n’ont d’ailleurs pas la même nature, dangerosité, ou simplement probabilité de s’inscrire dans la durée. Mais ensemble ils créent un climat anxiogène. Ils nous font douter de l’avenir.
A défaut de prophètes, il nous faudrait un nouveau type de femmes ou d’hommes politiques qui possèdent à la fois une clairvoyance insigne et le courage presque surhumain de faire ce qui doit être fait sans se laisser détourner par le souci obsessionnel de plaire — en d’autres termes, un de Gaulle pour les temps nouveaux.
Un homme ou une femme (ou mieux encore un groupe d’hommes et de femmes) qui saura s’exclamer dans la langue certes moins héroïque de notre temps : “Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? Non !” (5).
(1) Pierre Vermeren et Emmanuel Todd par exemple, parmi d’autres.
(2) L’effondrement de la civilisation occidentale, Erik Conway et Naomi Oreskes, 2014
(3) Dictature 2.0, Quand la Chine surveille son peuple (et demain le monde). Traduction française de 2020, publiée chez Texto (Tallandier). L’auteur fait une remarquable analyse de la réécriture du passé (1984 en acte !), de l’utilisation de l’intelligence artificielle, du contrôle de l’internet, et du « système de fiabilité sociale » (ou compte social, où l’on peut gagner ou perdre des points en fonction de sa conduite et de la conformité de celle-ci aux directives du Parti), comme instruments au service de ce rêve des Etats totalitaires—le panoptisme parfait, c’est à dire un système où le lavage de cerveau et l’auto-censure font que l’on est à soi-même son propre gardien, son propre bourreau.
(4) Abattre l’Occident, Douglas Murray, 2022
(5) Charles de Gaulle : l’Appel du 18 juin.
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