RIP Maurice Ligot

Novembre 2022

Je voudrais évoquer très brièvement et sans prétention aucune à l’objectivité quelques uns des fils rouges de la vie de mon père Maurice Ligot, qui fut évidemment un homme important et chéri par sa famille, mais aussi une figure marquante de leur histoire récente pour les Choletais et même au-delà.

1) Le premier fil rouge, c’est le choix du service public 

Toute sa vie a été vouée au service de ses concitoyens, comme fonctionnaire puis comme élu.

Maurice Ligot est né le 9 décembre 1927 à Niort, le 4e enfant et seul garçon d’une fratrie de 6. Seule lui survit sa soeur Thérèse. 

Sa famille était choletaise par le côté Ligot, et angevine par le côté maternel, les Rousseau. 

La famille étant revenue à Angers en 1937, il y passa toute son enfance jusqu’en 1945. 

Seul garçon entouré de filles, il fut un enfant choyé. Il lit et dessine beaucoup. Passionné d’histoire, il voue un culte à Napoléon, son premier héros dont il dévore l’épopée dans la monumentale Histoire du Consulat et de l’Empire de Louis Madelin, dont les 16 volumes trônaient en place d’honneur dans sa bibliothèque. 

De cette passion pour l’Empereur, il a tiré la conviction —très gaullienne aussi— que la France est faite pour la grandeur ; son tempérament visionnaire ; et le goût pour l’action.

La seconde guerre mondiale a laissé une profonde empreinte sur les jeunes de sa génération : la débâcle de juin 1940, l’occupation (dont la maison familiale à Angers), l’humiliation de l’abaissement de la France.

Ces circonstances lui inspirèrent le désir ardent de participer à la reconstruction d’une France forte et respectée.

C’est ainsi que jeune homme, la guerre terminée, il se destina à l’Ecole nationale de la France d’outre-mer, « colo » comme on disait, car à l’époque la France avait encore un Empire, et de nombreux jeunes capables et ambitieux rêvaient de servir leur pays en y servant. 

Ses antécédents de santé ne lui permirent pas cependant de se présenter au concours.  Il se tourne alors vers Sciences Po, où il rencontra début 1952 Brigitte Cowet, ma mère, qu’il épouse en décembre 1953.  Le lendemain de son mariage, comble de joie, il est reçu à l’Ecole nationale d’administration.

Sorti en 1956 dans le corps des administrateurs civils, il accomplira l’essentiel de sa carrière administrative sous la Ve République.

En 1959, il rejoint le nouveau Secrétariat général des affaires africaines et malgaches rattaché à l’Élysée. A ce titre, il participe en 1960 à la décolonisation des pays de l’Afrique occidentale et centrale française et à l’élaboration de traités de coopération avec les nouveaux Etats indépendants, auxquels il consacrera sa thèse de doctorat en droit [1].

Il devint ensuite chef du cabinet, puis conseiller technique du Ministre de l’intérieur, jusqu’en 1967. Il migre alors au Ministère de l’industrie où il restera jusqu’en 1973.

Entre-temps en 1965 il est devenu maire de Cholet. 

2) Le second fil rouge de cette vie, en effet, c’est sa dévotion à Cholet et aux Choletais 

Les Ligot habitaient Angers, mais ils possédaient une maison de vacances à Cholet, à la Roche du Ribalet, au bord du lac de Ribou.  De nombreux week-end et les vacances d’été étaient passés dans cette Roche qu’il aima tant, et qu’il ne cessa d’embellir. 

Rien cependant ne prédisposait le haut fonctionnaire parisien à faire de Cholet le lieu et l’objet d’une nouvelle carrière.

Dans un texte qu’il écrivit pour nous ses enfants, il explique les raisons de son engagement dans la vie politique, qui fut au départ un engagement pour devenir Maire de Cholet : 

L’agent du destin fut un drame personnel – la mort de Brigitte à Cholet en juillet 1964. Je le cite : 

« Comment vivre, comment retrouver un équilibre, sinon en me jetant dans un travail acharné, absorbant ? Il fallait que je me crée une autre vie, complètement différente. 10 jours après les obsèques de Brigitte, tournant en rond seul dans la maison et le jardin et réfléchissant à ce que devait être désormais ma vie, ma décision fut prise. (…)

J’ai décidé de m’enraciner désormais à Cholet, de faire de la maison de vacances de La Roche du Ribalet, notre maison. J’y resterai, j’y vivrai, j’y combattrai. C’est alors que j’ai fait le projet de devenir le maire de Cholet. Décision prise en dehors de toute autre logique que celle de l’enracinement auprès de ma femme disparue et enterrée ici ».

Elu maire de Cholet le 26 mars 1965 – où il accueillit deux mois plus tard son autre héros, le Général de Gaulle -, il le resta jusqu’en 1995. 

Il fut également député, conseiller régional et général, et même, pour une période brève, secrétaire d’Etat du Président Valéry Giscard d’Estaing entre 1976 et 1978.

Mais sa passion, son soleil, c’était Cholet

En 1995, il écrira dans un petit livre résumant son action municipale [2] : « au cours de ces 30 années, Cholet et les Choletais ont été au centre de ma vie, de ma pensée et de mon action ». 

Cela, c’était le discours public, mais je peux témoigner que dans le privé il ne déclamait pas cette passion avec moins de ferveur. Il s’identifiait à sa ville, et la fierté qu’il tirait de ses progrès était source d’un immense bonheur. 

Beaucoup ont vu en lui un visionnaire. Il avait forgé sa propre conception de ce que devait être la ville moyenne centre —une vraie ville, pas un satellite au rabais des grandes métropoles—, et dont il fit de Cholet le terrain d’expérimentation, car « Cholet, écrivit-il, était en attente d’un avenir » [3].  

Cette vision se nourrissait de —et s’appuyait sur— trois passions fortes et complémentaires :

D’abord, la passion pour l’aménagement du territoire, c’est-à-dire le développement harmonieux du territoire, une cause à laquelle ce « Girondin » fier de ses racines provinciales consacra un livre en 1993 [4], et grâce à laquelle il rencontra son épouse Anne-France. Il était peiné de ce qu’il observait depuis de nombreuses années : l’accentuation des déséquilibres territoriaux, et son corollaire politique : le désespoir d’une certaine France se sentant abandonnée et déclassée. 

Ensuite, la passion pour le développement économique.  Il s’attacha à faire fructifier ce germe qui était dans la culture locale : l’esprit d’entreprise, qui était pour lui l’héritier transfiguré de l’esprit de rébellion et de résistance manifesté par les Blancs lors de la guerre de Vendée. Il était convaincu du rôle moteur que l’entreprise locale, souvent familiale, peut avoir pour vivifier le territoire où elle est ancrée – sujet auquel il consacra en 2003 un livre en forme d’hymne, Osez entreprendre -, fruit d’interviews avec plusieurs chefs d’entreprise du Choletais qu’il admirait.  

Enfin, la passion du bâtisseur, qu’il s’agisse de constructions ou bien d’institutions, passion si forte qu’il confessa un jour que dans une autre vie il aurait pu choisir le métier d’architecte.  

Sans rien céder sur ses convictions, il n’était pas prisonnier d’une classe ou d’un parti. Il voulait être le maire de tous, et pas moins celui de nos concitoyens d’origine étrangère – marocaine, turque ou laotienne, etc. -, qu’il chercha à mieux intégrer à la vie choletaise.

Et réciproquement, cette action n’aurait rien été sans ceux qu’il appela ses « coéquipiers » : les élus, les services municipaux, et bien sûr les Choletais. 

3) Le dernier fil rouge que je souhaiterais évoquer c’est son caractère

Le premier mot qui me vient à l’esprit si je tente de définir ce caractère, c’est solaire.

C’était un homme énergique, infatigable, mais surtout totalement en harmonie avec lui-même, fondamentalement optimiste sur les hommes et l’évolution du monde. Jamais je ne l’ai vu s’abandonner au pessimisme. Il rayonnait.

Il avait le sens (ou le don) de l’autorité, ce qui n’excluait pas l’écoute et la discussion avant la nécessaire décision. C’était l’idée du maire « chef d’orchestre ».

Il avait le goût de la chose bien écrite et bien dite, et soignait spécialement ses discours qu’il improvisait aussi avec brio.  Il écrivit plusieurs livres, le dernier en 2019 [5], dédié au grand-père de notre soeur Catherine, l’intrépide Général Corniglion-Molinier, dont la vie fut un roman.

Homme de sa génération, il gardait ses distances : pas de tutoiement et de familiarité ; toujours en costume-cravate, et le cheveu bien peigné – cette belle crinière qui était devenue blanche comme neige au soir de sa vie.

Il était fondamentalement bienveillant, ce qui n’excluait pas une occasionnelle impatience avec ses collaborateurs lorsqu’on était en deçà de ses attentes, ou l’occasionnelle prise de bec avec l’Etat, la Région ou le Département lorsqu’on disait non à ses demandes…forcément légitimes. 

Il aimait le contact et les gens. Je me souviens de l’embarras que j’éprouvais enfant lorsqu’il n’hésitait pas aborder des personnes qu’il ne connaissait pas et à leur tendre la main, un grand sourire accroché au visage. Ce n’était pas manoeuvre électoraliste, ou si peu, mais surtout l’expression d’une empathie sincère pour les gens. Même dans l’arène politique où le pugilat est souvent de mise, ses opposants ont reconnu que le respect était mutuel.  

Il était proche de sa famille, fier de sa large descendance, attentionné au sort de tous, même si ses enfants ne vécurent pas toujours très bien ses absences et les sacrifices que réclame une vie publique intense.

Et pourtant, cet homme à qui la vie a beaucoup souri n’a pas été épargné par les épreuves. J’ai évoqué la plus douloureuse ; mais il y en eut d’autres : des morts tragiques dans la famille proche, le handicap de son fils aîné, des maladies graves contractées très jeune, l’opération du coeur en 1984, ces cancers qui s’abattirent sur lui ces dernières années. Et puis des fâcheries politiques….

Enfin, c’était un Chrétien ardent. Assidu aux messes du Sacré-Coeur tant qu’il put marcher, et ensuite devant le petit écran. Cette foi profonde – du « charbonnier » disait-il – l’a beaucoup aidé dans les derniers moments. Ainsi que le soutien aimant et infaillible d’Anne-France, dont la dévotion à son chevet lui rendit cette fin de vie beaucoup moins pénible.

Lui que nous croyions insubmersible ou presque a finalement cédé sous les coups de celle que Bossuet appelait la « cruelle ennemie » [6].

Mais alors que la douleur étreint les survivants, je me console en songeant qu’il est parti dans la sérénité rejoindre le Royaume des Cieux, Brigitte et tous les êtres chers disparus, et qu’ils lui feront l’accueil glorieux que sa belle âme méritait.

Au revoir papa !

Notes :

[1] Les Accords de coopération entre la France et les Etats africains et malgache d’expression française. 1964 

[2] 1965-1995, l’audace d’une ville, Cholet. 1995

[3] Un Maire, une Ville. 2015

[4] Un territoire, une passion. 1993

[5] Edouard Corniglion-Molinier, Un paladin au XXème siècle. 2019

[6] Oraison funèbre d’Yolande de Monterby. 1655

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