Dette publique : arrêter la fuite en avant

Evolution de la dette publique française totale (1995-2023)

La France a échappé in extremis, le 2 juin 2023, à une dégradation de sa note souveraine par l’agence de notation Standard & Poor’s1.

Cette dégradation n’aurait certes pas été une bonne nouvelle, mais n’aurait pas été une surprise.

Une dégradation aurait signifié une confiance amoindrie des marchés financiers dans la capacité de l’Etat à rembourser sa dette, et se serait traduite par une augmentation du taux d’intérêt des nouveaux emprunts, et un alourdissement de la charge qui en résulte pour le budget de l’Etat et pour les contribuables2

Les charges d’intérêt budgétisés pour 2023 (environ 52 milliards d’euros, soit presque autant que le budget de la défense !) sont déjà très lourdes, ce qui aurait ajouté au … déficit, lui-même prévu à hauteur d’environ 160 milliards d’euros en 2023. La dette nourrit la dette !

Mais attention, cette non-dégradation n’est qu’un sursis. Car la France reste un pays qui continue de vivre au dessus de ses moyens, ou plutôt dont l’Etat, censé montrer l’exemple et qui invite sans cesse ses citoyens et ses entreprises à plus d’effort ou de vertu, est chroniquement incapable de maîtriser ses finances.

Depuis plus de 40 ans la France ne vote plus un budget en équilibre et cette tendance s’est notablement aggravée sous Macron, qui manie avec autant d’aisance, et toujours « en même temps », la carotte que le bâton. 

Le bâton, c’est un style de gouvernement vertical, centralisateur et occasionnellement autoritaire, et l’utilisation à répétition de l’article 49-33 pour mater un Parlement indocile (et sans majorité absolue depuis les élections de juin 2022). 

La carotte, c’est la pratique du « quoi qu’il en coûte » sur une échelle stratosphérique et les cadeaux en tout genre (chèque bois, etc.). Gouverner, c’est prévoir et choisir. Sous Macron, c’est la fuite en avant dans la dépense et la dette par peur de déplaire.

La dette publique totale atteignait 3 088 milliards d’euros à fin septembre 20233, soit près de 112% du PIB, et dont 83% pour l’Etat et ses satellites4. Une augmentation vertigineuse de plus de 800 milliards par rapport à début 2017, et de plus de 1 200 milliards si on fait bloc des années Hollande-Macron, soit encore environ 100 milliards d’endettement supplémentaire par an. Rien ne laisse penser que la courbe va s’infléchir.

Il faut mettre un terme à cette fuite en avant.

L’Etat, comme les familles et les entreprises, doit mieux gérer sa barque, et équilibrer son budget en réservant l’emprunt aux investissements d’avenir, comme par exemple la transition énergétique. On ne s’endette pas pour payer des salaires ou des allocations !  Cela veut dire réduire ses dépenses, et donc revoir son logiciel et son périmètre d’action.

Servir l’intérêt général suppose des choix, et les choix font nécessairement des mécontents, à court terme en tout cas.

C’est à l’Etat dont les dirigeants sont démocratiquement élus et contrôlés par le Parlement et les citoyens (enfin on aimerait) qu’il revient de définir cet intérêt général, qui ne se confond pas avec la mosaïque des intérêts particuliers. Malheureusement, on a habitué les Français à considérer l’Etat comme un parapluie, un paratonnerre, une mère-poule, un bon Samaritain, bref, un guichet vers lequel on se précipite pour quémander, à la moindre adversité, subventions, crédits d’impôt, exonérations ou aides de toute sorte. Les Gouvernements ne se font pas prier qui arrosent à qui mieux mieux, dès qu’une fourche se lève ou que la rue gronde. Mais l’Etat, c’est la poche des autres (des riches de préférence), ou selon le mot brillant de Bastiat : « L’Etatc’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. »5

Servir l’intérêt général suppose de dire la vérité et d’agir avec courage. Mais depuis trop longtemps on prive les Français de l’une comme de l’autre.

Notes :

  1. La note actuelle, et donc maintenue, est de AA, avec perspective négative. Les notes de S&P pour les notation de crédit internationales à long-terme suivent une échelle de AAA (le plus haut) à D (le plus bas). La France s’est située dans le club très restreint des AAA jusqu’en 2012. Dans la zone euro, seuls l’Allemagne, les Pays-Bas, et le Luxembourg ont conservé leur notation « triple A ». Parmi les membres du G7, seuls l’Allemagne et le Canada ont conservé la note maximale. Le communiqué de Standard & Poor’s est accessible via ce lien. ↩︎
  2. Le taux de l’OAT (obligation assimilable du Trésor), le principal titre d’emprunt à long terme négociable émis par l’Etat avoisinait zéro entre 2019 et fin 2021. Il s’élevait à environ 3,50% au 23 octobre 2023. En simplifiant : 3,50% d’augmentation sur un stock de 2 410 milliards de dette négociable de l’Etat (à fin août 2023), c’est un surcroît d’intérêts de 85 milliards d’euros en année pleine. Heureusement, le nouveau taux ne s’applique qu’au flux nouveau d’endettement. Le projet de loi de finances pour 2024 en cours d’examen au Parlement prévoit un besoin de financement en 2024 de près de 300 milliards, qui sera couvert notamment un programme d’émission de titres d’État à moyen et long terme à hauteur de 285 milliards d’euros net de rachats. En supposant que l’Etat ne lève que des OAT à 10 ans (ce qui n’est pas le cas), le surcroît brut de charge d’intérêts serait de l’ordre de 10 milliards d’euros par rapport aux conditions prévalant fin 2021. ↩︎
  3. L’article 49-3 de la Constitution de 1958 permet, à l’initiative du Gouvernement, l’adoption d’un texte législatif si aucune motion de censure n’est déposée ou n’obtient la majorité majorité des membres composant l’Assemblée nationale. Si une motion de censure est adoptée, le texte est rejeté et le gouvernement renversé. ↩︎
  4. Il s’agit de la dette publique « au sens de Maastricht ». La dette au sens de Maastricht, ou dette publique notifiée, couvre l’ensemble des administrations publiques au sens des comptes nationaux : l’État, les organismes divers d’administration centrale (ODAC), les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale. Elle est consolidée : sont donc exclus du calcul de la dette les éléments de dette d’une administration détenus par une autre administration. C’est le cas par exemple des dépôts des administrations publiques au Trésor. Le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, avait défini cinq critères de convergence que les États membres doivent respecter pour passer à la monnaie unique, l’euro. Deux critères sont relatifs à la maîtrise des déficits publics: le déficit des finances publiques ne doit pas dépasser 3 % du PIB pour l’ensemble des Administrations publiques et la dette publique doit être limitée à 60 % maximum du PIB. Bonne source : lien. Pour les chiffres à fin septembre 2023 : lien. ↩︎
  5. On rappelle que les collectivité locales (8% de la dette publique totale à mi 2023) ne peuvent s’endetter que pour de l’investissement (section d’investissement). La section de fonctionnement (dépenses courantes) ne peut être financée par de l’emprunt. Chacune de ces sections doit être votée en équilibre. ↩︎
  6. Frédéric Bastiat, Journal des Débats, n° du 25 septembre 1848. http://bastiat.org/fr/l_etat.html ↩︎

Laisser un commentaire