Climat : 5 raisons de ne pas céder au découragement

A n’écouter que les médias et leur litanie de mauvaises nouvelles concernant le changement climatique, on pourrait être tenté de se dire : à quoi bon agir ; les jeux ne sont-ils pas déjà faits ; et l’humanité n’a t-elle pas déjà perdu ?

L’immensité du défi, sa complexité (toutes les activités, tous les secteurs de l’activité humaine sont concernés ou presque), son universalité (on parle de ‘bien public mondial’ à propos du climat), et surtout le caractère impensable de la catastrophe qu’on nous prédit si rien ou trop peu est fait pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre, tout cela peut sembler décourageant.

L’action a besoin de l’espoir. S’il n’y a plus d’espoir (terrestre), l’homme s’abandonne à l’inaction, l’inertie, la mort, sauf le saint ou le fou, que meuvent pour l’un sa croyance en un salut au delà de ce monde, et pour l’autre son absence de rationalité.

« Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir, la vie est un opprobre et la mort un devoir » (Voltaire)(1).

Le dernier rapport du GIEC (2) est encore plus alarmiste que les précédents. Selon ce dernier, la limitation du réchauffement à +1,5°C à horizon 2100 par rapport au niveau de l’époque pré-industrielle – le but affiché de l‘Accord de Paris de 2015 – est inatteignable sans une réduction majeure et immédiate des émissions de gaz à effet de serre (GES), suivie par l’élimination nette de CO2 atmosphérique. Cela implique d’arriver à la neutralité carbone (les émissions doivent être compensées par des captures de CO2) d’ici ou peu après 2050 — l’objectif de la politique climatique de l’Union européenne, entériné par la France. En effet, il y a une relation quasi-linéaire entre la quantité cumulée de GES dans l’atmosphère et le réchauffement climatique.

Entre 1850 et 2019, l’humanité a émis environ 2 390 Gt (milliards de tonnes) de CO2. Pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à +1.5°C, il resterait environ 500 Gt de CO2 à émettre. Au rythme actuel d’émissions (plus de 50 milliards de tonnes par an), ce budget serait dépassé en 2032. C’est demain, et le monde a encore battu son record d’émissions en 2022 (3).

L’Union européenne joue la bonne élève, au moins dans la rhétorique (objectif de neutralité carbone d’ici 2050), suivie à distance par les autres pays du monde, et surtout —qui s’en étonne ? — les pays dits « en développement », qui réclament qu’on ne leur dénie pas, pour rattraper les pays les plus riches, le recours aux énergies fossiles, qui a permis l’enrichissement de ces derniers.

Mais au total, lorsqu’on agrège les engagements de décarbonation des différents pays, on reste bien en deçà du compte. Le PNUE (4), qui réalise chaque année cet exercice, conclut dans son dernier rapport : « La mise en œuvre des engagements actuels ne permettra de réduire cette hausse (de la température) qu’à 2,4-2,6°C d’ici la fin du siècle », soit bien au delà de l’objectif de Paris.

Et pourtant, il y a au moins 5 bonnes raisons de ne pas se décourager.

Premièrement, nous avons (au moins pour l’Europe et la France) la stratégie, ainsi que les moyens technologiques et financiers pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Pour la France, cette stratégie est la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) de 2020, qui sera actualisée fin 2023, notamment à la lumière de feuilles de route de décarbonation que doivent élaborer les grands secteurs les plus émissifs (5). Rappelons que cet objectif est moins strict pour les pays en développement.

Deuxièmement, il existe des moyens de forcer une coopération internationale qui n’existerait pas spontanément. Par exemple, pour limiter le risque de perte de compétitivité de nos industries les plus émissives soumises à des contraintes environnementales dont leurs concurrents sont exemptés, l’Union européenne s’est engagée à mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), c’est à dire une taxe carbone sur les produits importés issus de ces secteurs : ciment, acier, etc. (6). Selon le Parlement européen, le MACF devrait inciter les « pays non membres de l’UE à accroître leur ambition climatique« , en taxant l’importation dans l’UE de marchandises venant de pays tiers où les objectifs climatiques sont moindres. Seront concernés dans un premier temps des produits parmi « les plus exposés à un risque de fuite de carbone » : ciment, fer, acier, aluminium, engrais, électricité, hydrogène. Le montant des taxes sera modulé : si les pays d’origine appliquent déjà un prix carbone, seule la différence sera payée. Cela réduira le risque de « fuite de carbone« , le risque que les émissions soient simplement déplacées hors de nos frontières via la délocalisation de la production et l’importation.

Troisièmement, la croissance de la population mondiale se ralentit. Selon le dernier rapport des Nations unies : « En 2020, le taux de croissance de la population mondiale est passé sous la barre des 1 % par an pour la première fois depuis 1950. Selon les dernières projections des Nations unies, la population mondiale pourrait atteindre environ 8,5 milliards d’habitants en 2030 et 9,7 milliards en 2050 ; elle devrait culminer à environ 10,4 milliards d’habitants dans les années 2080 et se maintenir à ce niveau jusqu’en 2100 » (7). En 2012, les Nations unies projetaient un niveau de 10,9 milliards d’habitants à cette dernière date. Ce ralentissement de la croissance démographique signifie automatiquement une réduction de l’augmentation des émissions de GES, comme le montre clairement l’équation due à l’économiste japonais Yoichi Kaya (8).

Quatrièmement, on perçoit une montée en puissance de la conscience civique, certes plus marquée dans les pays du Nord (les pays industrialisés) où la sensibilité à ces sujets est plus ancienne et renforcée par l’action des pouvoirs publics, l’éducation et les médias. Bertolt Brecht a bien saisi cette vérité pratique : « La morale n’est possible que lorsque l’homme est rassasié » (9). De nombreux indices, et notamment parmi les générations plus jeunes, suggèrent une attitude nouvelle, plus détachée, par rapport à la consommation, la croissance économique, l’argent, dont la poursuite effrénée a été l’un des emblêmes de notre époque. Selon une enquête récente réalisée par IPSOS pour RTE à l’appui de la révision de son Bilan Prévisionnel 2025-2035 (qui devrait sortir fin 2023), les Français ne sont pas prêts à des changements plus radicaux, par exemple la bascule vers le logement collectif ou l’abandon de la voiture individuelle (10).

Cinquièmement, rien de tel pour donner du sens à son action que de commencer par soi-même. Toute action individuelle qui réduit les émissions de gaz à effet de serre contribue à l’atteinte du but collectif, qu’il s’agisse de réduire l’usage d’un véhicule, ou de baisser sa température de chauffage. Elle y contribue aussi indirectement, par sa valeur d’exemple à l’égard des autres. Le mimétisme, l’émulation sont de puissants moteurs des comportements sociaux. Pourquoi toujours croire que « la mauvaise monnaie chasse la bonne » ? (11). Le cynisme, l’égoïsme ne sont pas de mise : chacun peut et, surtout, doit faire quelque chose en faveur du climat. Par son action, par son exemplarité, par sa force de persuasion, par son vote. Rien n’est à négliger.

Alors, pas de découragement. Et s’il faut mourir, mourons la tête haute et l’honneur sauf ; nous aurons fait ce qu’il était en notre pouvoir pour laisser à nos enfants, à nos successeurs, une planète moins inhabitable qu’elle ne le serait si on succombait à la paralysie du fatalisme.

Comme le dit Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » (12).

Notes :

(1) Voltaire. Mérope (1743).

(2) Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat. Bon résumé sur le site du Shift Project : Lien.

(3) Pour les émissions de CO2 provenant de la combustion de combustibles fossiles et du processus de production de ciment, à 36 Gt. Cf. cet article de la revue Nature : lien.

(4) Programme des Nations Unie pour l’Environnement.

(5) Sur la SNBC : Lien. Sur les feuilles de route : lien.

(6) Sur le plan climat européen, bon résumé ici : lien.

(7) Résumé en anglais ici : lien.

(8) Dans un livre de 1993. L’équation est la suivante : CO2 = population x (PIB/population) x (consommation d’énergie/PIB) x (CO2/consommation d’énergie). Soit : émissions mondiales de CO2 = population mondiale x pouvoir d’achat mondial moyen x intensité énergétique mondiale moyenne x intensité carbone du mix énergétique mondial moyen. Cf. explication sur le site de Jean-Marc Jancovici : lien.

(9) De l’allemand : « Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral.“ Tiré de l’Opéra de quat’sous, comédie musicale de Brecht et Kurt Weil ( 1928).

(10) RTE : Réseau de transport d’électricité, l’entreprise en charge du réseau de transport (haute tension) et des projections à moyen et long terme de l’équilibre entre offre et demande d’électricité. Le scénario de décarbonation français repose pour une large part sur une électrification des usages, notamment pour la mobilité, l’industrie et le chauffage des bâtiments. Synthèse accessible ici : Lien.

(11) Enoncé de la loi dite de Gresham (16è siècle), qui s’applique à l’ordre monétaire, mais qu’on se donne licence ici d’étendre au domaine des comportements sociaux. Pour les curieux : lien.

(12) De l’anglais : “You must be the change you want to see in the world.”

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