
Source : Article cité en note 6 infra.
Les dommages que notre système économique et nos habitudes de sur-consommation (que le monde s’empresse d’imiter) infligent à la nature ne se cantonnent pas au seul climat.
Les climato-sceptiques oublient ou escamotent deux points fondamentaux : Le premier est que les sources d’énergie fossile —à supposer qu’elles ne soient pas responsables du changement climatique accéléré que nous observons avec une inquiétude grandissante depuis une cinquantaine d’années— sont aussi une ressource finie (à l’échelle d’une ou plusieurs générations humaines), et qu’il faudra bien se procurer de nouvelles sources d’énergie, nécessairement non fossiles, pour pallier l’épuisement inéluctable des premières. Pour cette seule raison, l’action en faveur du climat est utile.
Mais les climato-sceptiques oublient aussi que les dégâts infligés à la planète, du fait notamment de la sur-utilisation des ressource de la terre, vont bien au delà de ceux que l’on associe au changement climatique.
Le dérèglement du climat n’est en effet qu’un aspect d’un dérèglement généralisé des systèmes terrestres qui permettent de soutenir la vie, et notamment de l’espèce humaine et de la biodiversité avec laquelle elle entretient des liens de symbiose bien plus étendus et profonds qu’on ne l’imagine.
On retrouve ici l’hypothèse de Gaïa, formulée par le scientifique britannique James Lovelock (disparu en 2022), selon laquelle “l’ensemble des êtres vivants sur Terre formerait ainsi un vaste super organisme — appelé «Gaïa », d’après le nom de la déesse de la mythologie grecque personnifiant la Terre — réalisant l’autorégulation de ses composants pour favoriser la vie. Un exemple cité par Lovelock à l’appui de son hypothèse est la composition de l’atmosphère, qui aurait été autorégulée au cours du temps de manière à permettre le développement et le maintien de la vie”1.
Un nouveau concept a émergé depuis 2009 pour permettre de diagnostiquer en quelque sorte la santé biophysique de la planète, celui de limites ou frontières planétaires (en anglais, Planetary Boundaries). Il permet d’identifier des « communs mondiaux » (global commons), c’est à dire des biens publics mondiaux2, qui incluent le climat, mais aussi d’autres systèmes planétaires interconnectés dont la préservation est clé pour le maintien de la prospérité humaine et l’équité pour tous. Au total, 9 limites ou frontières ont été identifiées3.
Approfondissant cette recherche, la Commission de la Terre (Earth Commission, une équipe pluridisciplinaire de plus de 40 scientifiques internationaux formée en 2019) a récemment quantifié des limites sûres et justes des systèmes terrestres (safe and just Earth System Boundaries4) pour 5 de ces systèmes : le climat, la biosphère, l’eau douce, les engrais et la pollution de l’air —et la plupart d’entre elles ont été franchies (cf. figure supra5, et Annexe infra).
Par exemple, « les activités humaines modifient les flux d’eau, des quantités excessives de nutriments sont rejetées dans les cours d’eau en raison de l’utilisation d’engrais, et les zones naturelles restantes sont limitées. Cette situation fait peser des menaces existentielles sur la stabilité de la planète, sur les écosystèmes et sur leur contribution vitale à l’homme« 6. Le monde a déjà dépassé la limite de sécurité et de justice pour le climat, fixée à 1°C au-dessus des niveaux de température pré-industriels, car des dizaines de millions de personnes sont déjà affectées par le niveau actuel du changement climatique.
Dans les cinq domaines analysés où plusieurs limites ont déjà été transgressées, il est très probable, à moins d’une transformation rapide, que des points de basculement7 irréversibles et des impacts étendus sur le bien-être humain seront inévitables. Il est essentiel d’éviter ce scénario si nous voulons garantir un avenir sûr et juste aux générations actuelles et futures.
Une conclusion majeure de cette recherche est que « pour un avenir sûr, le monde a besoin d’objectifs globaux au-delà du climat”8.
Il revient maintenant aux Etats, aux entreprises et autres acteurs-clés appuyés par les scientifiques de décliner ces limites aux échelles d’action géographiques ou sectorielles les plus propices à des interventions efficaces, et de se mettre d’accord (pour les Etats) sur un cadre, des objectifs et des actions, à l’instar de l’Accord de Paris sur le climat (2015), en dépit de toutes ses faiblesses.
ANNEXE: LES FRONTIÈRES SÛRES ET JUSTES DU SYSTÈME TERRESTRE
CLIMAT
Sûre : 1,5°C pour éviter la forte probabilité de multiples points de basculement climatiques. PAS ENCORE FRANCHIE
Juste : 1°C pour éviter une forte exposition à des dommages significatifs dus au changement climatique. DÉPASSÉE À 1,2 °C
Sûre et juste : 1°C
BIOSPHÈRE
Nature intacte à l’échelle mondiale : au moins 50 à 60 % de la superficie des écosystèmes naturels (sûres et justes). DÉPASSÉE À 45-50%.
Nature locale gérée : au moins 20-25% d’écosystèmes naturels dans chaque kilomètre carré (sûre et juste). NON RESPECTÉE POUR LES DEUX TIERS DES TERRES DOMINÉES PAR L’HOMME.
Sûre et juste (nature mondiale intacte) : >50-60% d’écosystèmes naturels
Sûre et juste (nature gérée localement) : >20-25% d’écosystèmes naturels dans chaque km2
L’EAU
Eaux de surface : altération du débit mensuel de 20 % (sûre et juste). DÉPASSÉE POUR 34% DE LA SURFACE GLOBALE
Eaux souterraines : Prélèvement annuel inférieur à la recharge (sûre et juste). DÉPASSÉE POUR 47% DE LA SUPERFICIE TOTALE
Sûre et juste (eaux de surface) : <20% d’altération du débit mensuel
Sûre et juste (eaux souterraines) : Rabattement ≤ Recharge
CYCLES NUTRITIFS (engrais)
Azote :
Sûre : <2,5 mgN/L dans les eaux de surface et <5-20 kgN/ha/an de dépôt terrestre (local) ; 61 TgN/an d’excédent (mondial) – DÉPASSÉE À 119 TgN/an
Juste : même chose que juste, plus eau potable <11,3 mgNO3-N/L (local) ; 57 TgN/an de surplus (global). DÉPASSÉE à 119 TgN/an
Phosphore :
Sûre : 50-100 mgP/m3 (concentration locale dans l’eau douce) ;4,5-9 TgP/an (surplus global). DÉPASSÉE à 10 TgP/an
Juste : même chose que pour le niveau « sûr », plus toute norme locale supplémentaire. DÉPASSÉE à 10 TgP/an
Sûre et juste (azote) : <57 TgN/an (global)
Sûre et juste (phosphore) : Excédent <4,5-9,0 TgP/an (global)
POLLUANTS AÉROSOLS
A l’échelle mondiale : 0,15 différence interhémisphérique moyenne annuelle d’EOA (sûre). NON DÉPASSÉE À 0,05
Au niveau local : 0,25 épaisseur optique des aérosols (EOA) pour éviter de modifier les moussons (sans danger). 15 μg/m3 PM2,5 pour éviter une forte probabilité d’atteinte à la santé humaine (juste).
Sûre et juste (échelle mondiale) : 0,15 différence moyenne annuelle interhémisphérique d’EOAO (sûre).
Sûre et juste (échelle locale) : 15 μg/m3 PM2,5
Notes :
- Source : Wikipedia. ↩︎
- La définition est encore tâtonnante. Sur ce sujet, cf. cette note du Gouvernement français. ↩︎
- Cf. https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries.html ↩︎
- sûres au sens de garantissant des conditions biophysiques stables et résilientes sur Terre, comme celles des 10 000 dernières années, qui ont permis à l’homme de prospérer ; justes, au sens où ces limites doivent minimiser l’exposition de l’homme à des dommages significatifs, comme les incidences négatives généralisées, graves, existentielles ou irréversibles des changements du système terrestre sur les pays, les communautés et les individus, telles que la perte de vies humaines, de moyens de subsistance ou de revenus, les déplacements, la perte de sécurité alimentaire, hydrique ou nutritionnelle, les maladies chroniques, les lésions ou la malnutrition. ↩︎
- Dans la figure, 3 de ces 5 domaines se dédoublent : eau de source et eau de surface pour l’eau ; phosphore et azote pour les engrais ; zone d’écosystèmes naturels et intégrité fonctionnelle pour la biosphère, soit 8 sous-domaines. Pour le détail, cf. l’article cité en note 6. ↩︎
- Source : Site de la Commission de la Terre. L’article complet publié en mai 2023 dans la revue Nature est disponible ici. Le scientifique suédois Johan Rockström fait le lien entre les deux courants de recherche. ↩︎
- A ce jour, 17 éléments de basculement ont été identifiés dans la littérature scientifique, dont neuf sont liés à la cryosphère. ↩︎
- Commission de la Terre, op.cit. ↩︎
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