L’IFI, impôt démagogique et inepte

A l’heure où le marasme du marché immobilier risque de se doubler d’une crise de l’offre de logements, il est opportun de s’interroger sur la pertinence de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui fait partie du problème, et non de la solution.

En transformant dès 2017 l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en IFI, le nouveau Président de la République croyait donner des gages au « grand capitalisme financier » qui le soutient, tout en sauvegardant ce totem qu’est l’ISF dans la psyché de gauche. On nous vantait cette victoire du capitalisme de la prise de risque sur le capitalisme des rentiers (pour faire court, l’immobilier).

Pour rappel, la principale modification apportée par l’IFI consistait à exonérer tous les éléments de richesse hors l’immobilier (y compris, la pierre-papier, les SCPI) qui étaient encore inclus dans l’assiette de l’ISF, et notamment les portefeuilles financiers.

Or, dès l’origine la gauche a rejoint les libéraux et la droite conservatrice dans une coalition improbable contre cette réforme.

« Les yachts, les jets privés, les chevaux de course, les voitures de luxe ou encore les lingots d’or ne sont plus pris en compte dans le nouvel impôt sur la fortune immobilière (ISF). Ce n’est pas possible ! Des symboles de ce genre doivent être beaucoup plus taxés. Un yacht, c’est m’as-tu-vu, ce n’est pas productif pour l’économie…», éructait Joël Giraud (LREM, aujourd’hui Renaissance), rapporteur du budget 2018 à l’Assemblée nationale.

« Plutôt que d’acheter votre maison avec un Plan d’épargne logement (PEL) qui va être taxé à 30% à partir de l’année prochaine, vivez dans un yacht. Ça coûte moins cher », lui faisait écho Olivier Faure, président à l’époque du feu groupe Nouvelle gauche (PS) à l’Assemblée.

Face à cette confusion intellectuelle, où gauche et majorité semblaient se disputer l’honneur démagogique de taxer davantage les plus riches, il est opportun de rappeler quelques principes de base.

Droit de propriété et liberté d’emploi du revenu

Le droit de propriété est un principe à valeur constitutionnelle1 qui a pour corollaire le libre emploi de son revenu : les gens doivent être libres de dépenser leur argent honnêtement gagné comme bon leur semble (sauf sur des activités ou produits illégaux, bien entendu, à la liste desquels il n’est pas impossible à terme que viennent s’ajouter à terme les activités à haute intensité carbone). Ce n’est pas au pouvoir politique de statuer sur ce qu’il est légitime ou pas de posséder. 

Au point extrême de cette logique totalitaire, il faudrait un corps d’inspecteurs qui inventorie et surveille vos biens, ou mieux que tous ces objets soient connectés et renseignent Big Brother en temps réel sur ce que vous avez et que vous auriez eu l’impudence de ne pas déclarer. Google, objets connectés, prohibition des paiements en liquide au-dessus de 1 000 euros, demain l’euro numérique2 : cette logique est en marche.

Ne taxer que les revenus

On ne devrait taxer que des flux économiques : revenus, plus-values, etc. Le patrimoine, c’est de l’épargne cristallisée. Si cette épargne génère des revenus (dividendes, coupons ou intérêts des actifs financiers, loyers des logements donnés à bail), que l’on taxe ces revenus. On ne comprend pas en revanche pourquoi il faudrait taxer des biens qui ne produisent pas de revenus. La fiscalité, comme le développement, la forêt ou l’énergie, devrait être durable : il lui faut ménager la ressource pour que celle-ci se régénère.

D’ailleurs, l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyens précise à propos de l’imposition qu’elle « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Ces facultés sont fonction de ce que l’on gagne, pas de ce que l’on possède. Sauf à vouloir que le contribuable vende son bien pour acquitter l’impôt, c’est-à-dire mutile son patrimoine (qui n’est pas toujours liquide), ce qui est absurde (c’est pourtant ce qui arrive souvent avec les droits de succession que les héritiers ne peuvent acquitter qu’en vendant une partie de leur héritage).

Tout taxer ou ne rien taxer

À partir du moment où l’on décide de taxer le fait de posséder des éléments de fortune, il n’y a aucune raison de discriminer entre eux : on taxe tout ou on ne taxe rien (avec peut-être un seuil). À quoi rime un impôt sur la seule fortune immobilière si ces éléments d’évidente richesse que sont les actifs financiers, les œuvres d’art, les chevaux de course, les biens de luxe (ces trois dernières catégories toutes improductives), ne le sont pas ?

D’un impôt stupide sur les très riches, l’ISF, on est passé avec l’IFI à un impôt stupide sur les classes moyennes supérieures. La discrimination est flagrante, même si le Conseil constitutionnel n’avait pas bronché naguère lorsque le législateur socialiste avait exonéré d’ISF les œuvres d’art et ces fortunes énormes qualifiées d’« outils de travail ».

Et si l’on exonère les titres financiers telles que les actions, faut-il mettre dans le même sac et exonérer de façon indifférenciée la grande entreprise monopolistique comme la PME, l’entreprise minière ou pétrolière comme celle qui développe des énergies renouvelables, l’action de start-up comme l’obligation du Trésor quasi sans risque, les entreprises étrangères comme les françaises, les secteurs d’hier comme ceux de demain ? Tout cela a-t-il la même valeur pour la prospérité française future ? A l’évidence, non.

Cessons de stigmatiser l’immobilier 

L’immobilier mérite bien mieux que l’indignité qui lui est ainsi faite. Il remplit un service essentiel, au plus bas de la pyramide de Maslow. Il fait vivre des millions de Français, notamment un artisanat local, qui aujourd’hui se forme pour mettre en œuvre la transition énergétique, et souvent utilise des produits français et fabriqués en France (ma propre région est riche en entreprises de menuiserie).

La part de l’investissement logement dans la formation brute de capital fixe (FBCF) de la comptabilité nationale totale se situe autour de 30 %. Il ne contribue pas moins que la détention d’actions Google, Esso ou Rio Tinto à la richesse et à l’emploi nationaux !

Enfin, l’immobilier est déjà une vache à lait fiscale, subissant un empilement d’impositions, de la taxe foncière (qui explose en France par contrecoup de la suppression de la taxe d’habitation3) aux plus-values, en passant par les droits de mutation et les droits de succession.

Pour financer l’économie française moderne de demain, ce n’est pas un bidouillage de l’ISF qu’il fallait, mais une taxation plus incitative des dividendes et des plus-values, et la création de fonds de pension qui mobilisent une épargne plus encline au risque.

Pour résumer, l’IFI est un impôt contre-productif, dont la seule valeur est politique, en ce qu’il est un totem, un symbole destiné à rassurer un petit peuple élevé dans le culte de l’égalité qu’il est bien fait droit à sa passion triste, que les riches seront esquintés, même si pour les sans-culottes (qu’on retrouve de nos jours chez LFI) et autres Pikettistes on n’en fait jamais assez, et tout ceci n’est que roupie de sansonnet4.

Une seule bonne réponse en accord avec ces principes : il faut supprimer l’IFI. Gageons que le gouvernement n’aurait aucun mal à récupérer le manque à gagner (1,8 milliards d’euros en 2022), une goutte d’eau (0,13%) par rapport aux quelque 1 400 milliards d’euros de recettes perçues la même année par les administrations publiques, et sans qu’il soit besoin de donner ce défouloir inepte à nos modernes sans-culottes.

Notes :

  1. Cf. cette analyse de Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes au Conseil d’Etat sur le site du Conseil constitutionnel. ↩︎
  2. La Banque centrale européenne y travaille, cf. cette page du site de la BCE. ↩︎
  3. La taxe foncière va augmenter de 62,7% (effet bases + effet taux) à Paris en 2023 ! Halte au feu. ↩︎
  4. Il est peu contestable que les inégalités de richesse sont plus marquées que les inégalités de revenus, et que selon certains indicateurs elles semblent s’être accentuées au cours des dernières décennie. Je n’entends pas éluder ce point. Mais l’IFI est-il le bon instrument ? Dans un rapport, l’OCDE conclut que « peu d’arguments militent en faveur de l’application d’un impôt sur le patrimoine net lorsqu’il existe par ailleurs un impôt à large assiette sur les revenus du capital des personnes physiques et des impôts bien conçus sur les successions et les donations« . Cet impôt (l’IFI pour la France) en effet « tend à exercer des effets de distorsion plus marqués et à être moins équitable. Cela résulte en grande partie du fait que l’impôt sur le patrimoine s’applique sans prendre en compte le rendement réel des actifs détenus par les contribuables« .  OCDE. 2018. « The Role and Design of Net Wealth Taxes in the OECD ». Résumé. ↩︎

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