Bilan du Macronisme, An VII

Commençons pas un aveu : en 2017, j’ai voté pour Emmanuel Macron (EM), au second tour. 

Electeur de droite, mais chroniquement décu par la « droite » de l’époque chiraco-sarkozienne (« Dr Droite et Mr. Gauche« ), j’étais encore enclin à voter François Fillon, ce que j’ai fait au premier tour, mais je ne me suis pas fait violence pour voter Macron au deuxième tour.

EM apportait une bouffée de jeunesse, de nouveauté, dans une offre politique qui sentait la naphtaline : de vieux partis épuisés par le pouvoir, leurs querelles, et dont l’identité idéologique s’était affadie.

Droite et gauche alternaient au pouvoir depuis 1981, parfois même cohabitaient (comme en 1986-88 et 1993-95), mais au fond, hormis la parenthèse de la relance ratée de 1981-1982, c’était toujours la même politique, sociale-démocrate pour faire simple, qu’elles menaient, avec quelques nuances et modestes oscillations comme en 1986 (à droite : les privatisations), ou en 1997 (à gauche : les 35h). Pendant toutes ces années, la dépense publique a peu ou prou augmenté tous les ans, comme les prélèvements obligatoires, la dette publique, et la taille du code du travail et du code général des impôts. Du social-libéralisme mâtiné de bureaucratie, car quel que soit le gouvernement, les hauts fonctionnaires maintenaient la continuité, et celle de leur influence. Ce que facilitait l’endogamie entre milieu politique et haute administration. 

EM arrive au pouvoir grâce à une combinaison rare de déflagrations / fracturations dont il ne fut pas l’artificier unique et qui lui ouvrirent un boulevard : l’effondrement simultané de la droite (UMP) et de la gauche (PS) de gouvernement. 

Macron a eu le génie de pressentir cet affaiblissement des partis classiques, mais aussi une chance insolente : le renoncement du président sortant (Hollande), l’implosion du favori de droite (Fillon), et le fiasco de la primaire du PS (qui vit l’inéligible Hamon sortir du chapeau et réaliser le pire score de l’histoire de ce vénérable parti, avant que Madame Hidalgo n’efface son nom des tablettes en 2022 avec un résultat encore pire). Il a eu l’audace d’avancer ses pions lorsque tous les autres quittaient le jeu.

C’est avec beaucoup d’excitation et un peu de fierté que je voyais ce jeune Président prendre les rênes d’un pays, qui seulement un an auparavant n’avait aucune idée de qui il était, encore moins celle de se donner à lui.

J’ai très vite déchanté. En voici les raisons.

Vacuité idéologique et verbosité

Certes, la pratique du pouvoir oblige à un certain pragmatisme, car la réalité est changeante et oblige à des ajustements.

Mais sous EM, on est frappé par l’inconsistance idéologique, l’absence de colonne vertébrale, la plasticité érigée en doctrine, l’obsession de la synthèse improbable, le « en même temps ».

Les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont bien croqué cette vacuité dans leur livre « Le traître et le Néant » (2021).

C’était une recette, je dois le dire, assez géniale pour conquérir le pouvoir, alors que les Français étaient lassés, dit-on, de l’alternance de deux forces politiques qui poursuivaient en gros la même politique, au point que Marine le Pen avait créé l’acronyme « UMPS » pour souligner et railler leur convergence fondamentale. 

Mais ça n’était pas tenable à terme, car la politique suppose des choix, et donc de faire des mécontents. Le goût de la synthèse, le culte de l’ambiguïté, l’obsession de plaire permettent à la rigueur de gagner des élections, mais pas de gouverner un pays, surtout au milieu des tempêtes et des récifs.

Au creux de la pensée sied le verbeux de l’énoncé. Certes, « au commencement était le Verbe », comme le rappelle l’Evangéliste. Tout pouvoir agit aussi par le verbe, et en démocratie le pouvoir se doit d’expliquer et de se justifier toujours.  

Mais sous EM, le président nous abreuve de discours plus ronflants et creux les uns que les autres. 

Une France de moins en moins souveraine, à la ligne de plus en plus fluctuante sur la scène internationale

Certes, l’indépendance absolue d’une nation est aujourd’hui une chimère. Notre pays est lié par des engagements internationaux de toute nature ; il s’est engagé résolument dans la construction de l’Union européenne, dont le droit prévaut sur le sien. Tout cela limite notre liberté d’action, et n’est d’ailleurs pas sans avantage (le grand marché, etc.) 

Mais sous EM, le culte de l’Europe (entendez : Union européenne), de la mondialisation et de l’atlantisme (avec quelques écarts néanmoins) a rarement été poussé aussi loin, si loin que l’on se demande parfois si la politique de la France n’est pas faite ailleurs. 

L’Europe (« maastrichtienne » dirait Michel Onfray, car on pourrait rêver d’une autre Europe) c’est la « colonne vertébrale » du Macronisme ; c’est en effet une des rares constances de sa politique, peut-être le seul invariant de son idéologie qui est de n’en avoir point. Le politologue Jérôme Fourquet souligne que l’Europe est le « trait d’union entre les différentes clientèles sociologiques qui se sont retrouvées autour de ce projet » (1).

Qu’il s’agisse de l’Afrique, de la Russie, et maintenant du Moyen-Orient, la France est en recul, ou sa parole est dépréciée, parce que la ligne politique de la France est indécise, fluctuante, comme si la confusion du « en même temps » avait également contaminé une politique étrangère ‘gaullo-mitterandienne’ dont la stabilité au travers des alternances successives était la marque —et la force— de la France, un point d’ancrage (2).

En supprimant le corps diplomatique, EM a jeté le trouble parmi les diplomates.

Ce qui résume le mieux mon sentiment c’est cette appréciation de l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt :  « nos changements de pieds successifs contribuent, en Europe comme ailleurs, à une moindre crédibilité » (3).

Hyper-présidence et recentralisation

Certes, le système institutionnel de la Ve République reconnaît au Président français des pouvoirs immenses, sans équivalent dans aucun autre pays démocratique. Comme on sait, ce pouvoir est amplifié, décuplé, lorsqu’une majorité parlementaire est élue qui se réclame de lui, —tendance que la réforme (malheureuse) du quinquennat renforce. Alors il devient aussi législateur suprême et avec le 49-3 (entre autres mesures) peut même faire la loi sans le consentement du Parlement (sauf à censurer le gouvernement). 

Mais sous EM, le pouvoir est devenu encore plus personnel, le Président se mêle de tout et parle sur tout à tout moment. L’utilisation du 49.3 et le chantage qui lui est associé (la soumission ou le chaos), est devenue systématique, ce qui n’est certes pas inconstitutionnel, mais traduit un mépris de l’institution parlementaire. 

Ce déséquilibre accentué des institutions d’Etat s’est accompagné d’une mise sous tutelle des collectivités locales, à qui on demande toujours plus tout en rognant leurs moyens.  

L’autonomie fiscale des collectivités locales a été sévèrement réduite avec la suppression de la taxe d’habitation qui, de surcroît, a affaibli la démocratie locale en sectionnant le lien qu’établissait l’impôt entre citoyen et contribuable (4).

Dérive des finances publiques, faux nez libéral, et désindustrialisation

On entend parfois l’accusation de néolibéralisme portée contre EM. Passé par la banque d’affaires Rothschild &Co, il serait l’instrument du grand capitalisme financier, du CAC 40, du ‘mur d’argent’. 

Comme souvent, la réalité est moins claire. Dans le sens libéral (et le bon sens tout court), il y a eu sans doute un abaissement des impôts de production, la flat tax sur les revenus financiers, des assouplissements du Code du travail (5), et la forte augmentation du nombre de création d’entreprises, passé d’environ 600 000 en 2016 à un peu plus d’un million en 2022, (même si les deux-tiers sont des micro-entreprises)(6), l’essor bienvenu de l’apprentissage, dont le nombre de contrats dans le secteur privé a bondi, passant de 275 000 en 2016 à 837 000 en 2022 (7), et la réforme du Revenu de solidarité active (RSA) conditionnant son versement à partir du 1er janvier 2024 à l’obligation de travailler (ou de se former) au moins 15 heures par semaine et l’inscription automatique à France Travail (ex-Pôle Emploi)(8). 

Le taux de chômage a baissé de l’ordre de 2,5 points entre début 2017 et fin 2022, mais il a simultanément baissé de 3 points dans la zone euro, ce qui inscrit la performance française dans une causalité plus complexe (9).

Comme l’a dit le président lui-même : « la France s’est davantage désindustrialisée que les autres pays en Europe » (10). Et la pandémie du Covid a mis à nu non pas tant que la France avait perdu une illusoire souveraineté économique—ce qui ne veut pas dire grand-chose— mais qu’elle ne fabriquait plus et ne savait plus fabriquer un certain nombre de produits critiques (comme masques et paracétamol pour la santé, par exemple).

Mais l’ambition de réindustrialisation reste largement en trompe-l’œil (la part de la valeur ajoutée de la branche industrie manufacturière dans l’ensemble des branches a reculé de 11,5% en 2016 à 10,4% en 2020 (11)(12), d’autant que rien n’a été fait pour réduire les charges sociales qui obèrent la compétitivité-prix des entreprises françaises. C’est si vrai que le déficit du commerce extérieur a atteint un niveau record, passant de 13 milliards d’euros en 2016 à 102 milliards en 2022, du fait d’une explosion des importations (plus de 50%)(13).

L’inflation que l’on croyait matée depuis plus de 20 ans est repartie à la hausse depuis la mi-2021 (14), et a dépassé les 5% en 2022, affectant surtout les prix de l’énergie, des matériaux de construction, et de l’alimentation.  

Ce rebond de l’inflation est certes général dans les pays de l’OCDE, et au-delà. Mais plusieurs pays en Europe ont su s’en protéger comme la Belgique le Danemark ou les Pays-Bas. La France a fait moins bien que la zone Euro dans l’année qui s’est écoulée jusqu’à octobre 2023 : +4,5% contre +2,9%. 

On ne peut oublier non plus que Christine Lagarde était en 2019 la candidate d’EM à la présidence de la BCE, et qu’elle y a conduit jusqu’en 2022 une politique absurde de taux bas ou nuls en ouvrant tout grand le robinet de la création monétaire avec l’ « assouplissement quantitatif ». 

 « Je prévois une baisse de 3 points de la part des dépenses dans la richesse nationale » (Emmanuel Macron, entretien aux Echos le 24 février 2017)

Surtout, la dépense publique a explosé, alors que la France taquine déjà le record du monde de l’incontinence budgétaire, passant de 56,5% du PIB en 2016 à 58,3% en 2022. Et comme les prélèvements obligatoires ont encore augmenté d’un point de PIB (de 44,6% en 2016 à 45,4% en 2022), cette frénésie dépensière a été financée par une augmentation vertigineuse des déficits et de la dette publique, laquelle a franchi le cap des 3 000 milliards d’euros en 2023, passant de 98% du PIB fin 2016 à 112% au deuxième trimestre 2023. 

L’impôt direct est de plus en plus lourd pour ceux —de moins en moins nombreux (seuls 45% des ménages paient l’impôt sur le revenu)— qui en paient. Le produit des impôts a augmenté de 28% de 2016 à 2022 (dont +44% pour l’IRPP et +45% pour CSG-CRDS) alors que le PIB n’augmentait sur la période que de 18% (en valeur). La transformation de l’ISF en IFI et l’alourdissement de la taxe foncière frappent de façon disproportionnée les propriétaires, ce qui n’est pas l’une des moindres causes de la crise immobilière qui frappe la France.   

Or, ce qui était relativement indolore jusqu’en 2021 avec des taux proches de zéro ne l’est plus avec des taux (sur les obligations d’Etat) qui dépassent désormais les 3%. La charge de la dette (intérêts) dépassera 51 milliards au budget de l’Etat en 2024, soit le plus gros budget hors éducation (60 milliards) !

Cette dérive des finances publiques est le résultat d’un manque de courage et d’un clientélisme généralisé. On n’avait jamais autant vu de chèques ou bonus ceci ou cela (même pour réparer les appareils électriques ! (14a)), en direction de telle ou telle catégorie…

Le paradoxe c’est qu’en dépit de la hausse de la dépense publique à des niveaux historiques les Français ont le sentiment général que la qualité des services publics se dégrade : éducation, santé, justice, etc. On est passé insensiblement d’une redistribution par les services publics (et notamment l’éducation) à une redistribution par les « alloc ». Ce changement est lourd de conséquences à long terme, puisque l’une d’entre elles est la baisse du niveau éducatif.

Déclin éducatif et décérébration

« Les mêmes chances pour tous nos enfants » (Programme du candidat EM en 2017)

L’abaissement général du niveau éducatif, le recul de l’orthographe et des compétences en calcul, les progrès de l’écriture inclusive, le recul général de la maîtrise de la langue française sont constatées par maintes études (15) et expériences anecdotiques de tout un chacun.

Ce recul vient certes de loin : d’un long travail de sape auquel ont concouru l’idéologie pédagogiste (16), la prolétarisation des enseignants (17), le wokisme, la pusillanimité des Gouvernements (ce que l’essayiste Sophie Coignard appelle le « Pacte immoral » (18), l’absurde promesse d’amener 80% d’une génération au BAC en démonétisant sans relâche ce dernier, etc. 

Mais il s’est accéléré sous EM, qui avait certes démarré du mauvais pied en déclarant en février 2017 qu’ « il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse », et dont les risettes à des rappeurs qui conchient la France envoyaient un message pour le moins ambigu.

Peu a été fait pour moderniser le “mammouth“ de l’Education nationale —premier employeur et premier budget de l’Etat—, qui manque cruellement d’efficience (19), d’efficacité et d’attractivité (20)(21). 

La réforme du bac (installation du contrôle continu, suppression des filières S, ES et L) s’est accompagnée d’une dévalorisation des mathématiques, discipline où la France, longtemps à la pointe, est désormais est en chute libre.

Rien n’a été fait pour augmenter les moyens des Universités qui se paupérisent par rapport aux grandes écoles.

Conséquence : Emmanuel Todd prévoit une baisse du niveau éducatif moyen de la population française d’ici 2030, masqué jusqu’à présent par un effet de cohorte (22).

Régalien : immigration incontrôlée, ensauvagement et recul de l’ordre public

La délinquance augmente en France, nonobstant le recul observé en 2020 et qu’explique le confinement lié au Covid (les violences intra-familiales et violences sexuelles font tristement exception)(23). 

Par exemple, les faits de violence sexuelle ont doublé et les coups et blessures volontaires (sur personnes de 15 ans ou plus) ont augmenté de 50%.

La France se situe plutôt dans la moyenne basse au sein de l’Union européenne en termes de moyens alloués à la sécurité intérieure. Par exemple, la France allouait en 2018 1,7% de ses dépenses publiques totales aux forces de sécurité contre 2% en moyenne pour l’UE (24). 

Le recul de l’autorité, la multiplication d’agressions, d’actes de barbarie, d’incivilités en France ne datent pas non plus d’hier. Fruits de décennie d’érosion de l’autorité au sens le plus large (parentale, à l’école, de la justice, etc.), dans le sillage de 1968 et du gauchisme, qui n’en finit pas de dérouler ses conséquences funestes.

L’augmentation de l’immigration (près de 1,7 millions de primo-délivrances de titres de séjour de 2017 à 2022), la montée de l’islamisme (25), la multiplication sur le sol national d’enclaves ex-territoriales livrées à la drogue et aux gangs et où la loi de la République ne s’applique plus, le processus à l’oeuvre de dés-intégration d’une fraction significative des populations issues de l’immigration et de confession musulmane, l’inexécution des OQTF (26), le laxisme d’une justice perçue comme idéologiquement biaisée en faveur du délinquant-victime, ont contribué à amplifier ces phénomènes.

« Je veux que le visage de nos quartiers ait changé à la fin du quinquennat » (Discours d’EM sur la politique de la ville à Tourcoing le 14 novembre 2017)

Mais aussi l’abandon de toute politique sérieuse de la Ville. Le 22 mai 2018, le « plan Borloo », si prometteur, est jeté aux oubliettes, sur cette phrase lapidaire du Président : « Ça n’aurait aucun sens que deux mâles blancs, ne vivant pas dans ces quartiers, s’échangent un rapport…» (27)(notez le clin d’oeil racoleur).

Retraites : une réforme bâclée et injuste

« Nous mettrons fin aux injustices de notre système de retraites » (Programme du candidat EM en 2017)

Durant la campagne de 2017, EM avait promis de rendre le système de retraites plus simple et plus juste en fusionnant les 42 régimes existants en un seul régime unique à points. Voté en première lecture par les députés en mars 2020, le projet de loi instaurant « un système universel de retraite » n’entrera jamais en vigueur.

Au printemps 2023, il fait adopter via le 49-3 une réforme dont l’ambition est réduite à la baisse, et qui se résume pour l’essentiel à reculer l’âge légal de départ à 64 ans. Cette réforme est injuste à maints égards, surtout parce qu’elle ne prend pas assez en compte les carrières longues, et ne touche pas d’un iota au régime ultra favorable des fonctionnaires de l’Etat. Il est en outre prévisible qu’un nouveau ravaudage sera nécessaire d’ici quelques années.

Tiers-mondisation de la santé

La France avait le meilleur système de santé du monde il y a 30 ans. Mais depuis il a dévalé la pente, et il est aujourd’hui en crise : manque de médecins, hôpital à bout de souffle, les signes se multiplient. 

Ici aussi, la dégradation a des racines anciennes (numerus clausus pour les études médicales à partir de 1971, etc.).

Mais comme souvent, sous EM, les réformes sont des mesurettes. La France dépense plus sur la santé que la moyenne des pays de l’OCDE (12,1% contre 9,2%) et emploie davantage de personnes dans le secteur (13,9% contre 10,5%), notamment à l’hôpital, mais l’impression générale est celle d’une régression, avec au premier chef une difficulté croissante à trouver un médecin traitant sur le territoire hors grandes métropoles et pourtour littoral.

Décarbonation ambitieuse mais sans mode d’emploi et valse-hésitation sur le nucléaire

« Nous réduirons notre dépendance à l’énergie nucléaire » (Programme du candidat EM en 2017)

Reconnaissons à cette présidence un engagement clair pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (28). Mais si l’intention est là, le mode d’emploi de la décarbonation manque encore, et les signaux envoyés aux Français restent contradictoires (le train reste hors de prix, les ventes de SUV s’envolent, les aides à la rénovation énergétique des logements sont un maquis illisible et soumises à condition de ressources, etc., etc).

Comment ne pas évoquer à ce propos la volte-face d’EM sur le nucléaire ?

Durant sa campagne, il s’est engagé à poursuivre la politique de François Hollande de réduction du nucléaire dans le mix électrique de 75% à 50%. En 2020, il ferme les deux réacteurs de Fessenheim qui sont en parfait état de marche. Douze autres fermetures sont prévues. 

Revirement en 2022 : dans son discours de Belfort de février (29), il annonce le lancement de nouveaux EPR. On ne va pas reprocher à un homme de changer d’avis si c’est pour du mieux. Mais que de temps et, si l’on ose écrire, d’énergie perdus à cause de ces valses-hésitations !

Pour conclure

La bouille encore juvénile du président, son activisme, et son verbe performatif ne doivent pas faire illusion : ce qui domine dans son bilan ce sont plutôt des symptômes de déclin (il est trop tôt pour voir si l’ambition de réindustrialisation est mieux qu’un feu de paille), et d’une division plus forte du pays (30), qu’exacerbe la montée de l’islamisme et de l’hydre woke (31).

Comment un pays si riche, si fort, si culturellement avancé que la France a-t-il pu tomber si bas ?

A la décharge du pouvoir actuel, on l’a dit, ce lent naufrage a une paternité multiple. Mais il me semble qu’ont grandement contribué à l’accélérer trois traits distinctifs de la pratique macronienne du pouvoir : le déni de réalitél’absence de convictions claires et fortes (le « en même temps »), et le manque de courage. Le refus de voir les choses comme elles sont, le souci de ménager la chèvre et le chou, et la peur de déplaire : trois recettes d’échec. Cela explique le pilotage à vue sur nombre de dossiers, les valses-hésitations, et la fuite en avant dans la dette, la dépense publique étant le substitut commode d’un courage défaillant.

En politique, on peut mentir effrontément et commettre les pires erreurs, et néanmoins survivre. Il y faut deux conditions : que les électeurs aient une mémoire de poisson rouge, et que votre opposition soit si inepte que le peuple préfère vous garder finalement, fût-ce à contre-cœur, ce qu’exprime bien l’idiome anglais : « Mieux vaut le diable que tu connais ».  

En 2022, c’est en rejouant le sketch « moi ou le fascisme » qu’EM a pu repasser, sur fond de défiance populaire profonde attestée par un niveau d’abstention historique, et qu’a très vite rallumée la réforme des retraites. 

C’est sur les sujets régalien et civilisationnel que se cristallise l’angoisse moderne des Français : sécurité, peur du communautarisme, défense de la culture et du mode de vie français, et hantise du déclassement qu’exacerbe la crise de l’école. C’est là que les Français attendent du politique les réponses les plus vigoureuses et les plus courageuses, et celles qu’offre EM ne sont pas à la hauteur. 

Le Rassemblement national progresse lentement mais sûrement, à la faveur d’une banalisation progressive, et de ce qui apparaît de plus en plus aux Français comme les prémices d’une guerre civilisationnelle avec l’islam radical. 

Sauf sursaut, et notamment de la droite modérée (en mal de refondation), on voit mal comment la France n’élira pas en 2027 sa première présidente de la République.


Notes :

(1) Entretien sur la chaîne ELUCID, novembre 2023, à l’occasion de la parution de son dernier livre, La France d’après.

(2) Ce n’est pas un hasard si 10 ambassadeurs français dans les pays musulmans de l’Asie de l’Ouest ont pris, dans un geste inédit, la peine —et le risque— de coucher leurs inquiétudes dans une note adressée en novembre 2023 au président et critiquant son éloignement de « la position historiquement équilibrée de la France sur la question palestinienne » (Novembre 2023).

(3) Entretien avec Valeurs actuelles, novembre 2023.

(4) https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/287097-la-suppression-taxe-dhabitation-quelle-reforme-pour-quels-enjeux

(5) Un exemple : l’abandon de poste qui permettait de se faire licencier pour garantir le maintien des allocations chômage est désormais présumé constituer une démission (La loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi du 21 décembre 2022). C’est une bonne chose.

(6) https://www.insee.fr/fr/statistiques/6692134

(7) https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/chiffres-cles-apprentissage-2022.pdf

(8) Plus d’infos ici.

(9) https://data.oecd.org/fr/unemp/taux-de-chomage.htm

(10) Discours du 11 mai 2023

(11) https://www.insee.fr/fr/statistiques/5758744?sommaire=5759063

(12) Cf. note de la Cour des comptes

(13) https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/10_ECC/16_CEX

(14) https://www.insee.fr/fr/statistiques/4268033

(14a) La littérature économique enseigne pourtant que toute subvention visant à encourager la consommation d’un produit tend à en renchérir le coût, créant un effet d’aubaine capté par les fournisseurs, qu’il s’agisse des allocations logement ou du crédit d’impôt pour les pompes à chaleur (aujourd’hui abandonné), par exemple.

(15) Cf. la dernière (2022) enquête internationale PISA qui mesure https://www.lefigaro.fr/actualite-france/classement-pisa-le-niveau-des-eleves-francais-degringole-20231205. Pour cette édition 2022 du classement Pisa ont été tirés au sort 6 770 élèves âgés de 15 ans, scolarisés en seconde (générale et technologique, mais aussi professionnelle). Les jeunes Français, tout comme les élèves des 80 autres pays concernés, devaient répondre sur ordinateur à une série de questions fermées (QCM, vrai/faux) ou ouvertes (à réponse courte ou construite). Trois domaines ont été évalués : la compréhension de l’écrit, la culture mathématique et la culture scientifique. 

(16) Le pédagogisme est le nom donné à un courant soixante-huitard selon lequel il faut rendre l’élève actif et acteur de sa formation et de repenser la relation pédagogique à partir de là. Selon ses détracteurs, il serait apparu dans les années 1970-1980, et aurait inspiré la loi d’orientation de Lionel Jospin de 1989. Ce courant est très représenté dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) jusqu’à leur suppression et depuis au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), puis institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) qui leur ont succédé.

(17) https://data.oecd.org/fr/teachers/salaires-des-enseignants.htm

(18) Paru en 2011.

(19) Selon une étude de l’institut Molinari, l’inefficience (le rapport coût/efficacité) française en matière d’éducation et de formation coûterait 16 milliards d’euros par an. 

(20) La chute régulière du nombre de candidats aux concours d’enseignants est un signe sûr de la désaffection pour ce métier. La rémunération des enseignants en France est inférieure, parfois très inférieure, à celle observée dans des pays comparables comme Allemagne, Pays-Bas, Canada, Australie, Etats-Unis, Irlande, Danemark, Autriche, Norvège, Suède, Japon, Irlande, etc. qui ont un PIB par habitant supérieur à celui de la France. Source : OCDE.

(21) Cf. Note de la Cour des Comptes.

(22) Emmanuel Todd. Les Luttes des classes en France au XXIe siècle. Points. Seuil ; 2020. pp 82-83

(23) Source : Ministère de l’intérieur, et INSEE. L’enquête INSEE ‘Sécurité et société’ 2021 est une référence indispensable. Elle complète notamment les statistiques du Ministère de l’Intérieur par des « enquêtes de victimation » qui permettent de connaître la délinquance telle qu’elle est subie, au quotidien, par les ménages et les personnes.

(24) Source.

(25) On reconnaîtra à EM un discours lucide le 2 octobre 2020 aux Mureaux, qui aboutira à la loi du 24 août 2021 sur le séparatisme (islamiste). Lien. Il y exposait une « stratégie d’ensemble » touchant l’ordre public et la neutralité du service public, les associations, l’école, l’organisation de l’Islam de France, une offre éducative, culturelle et sportive « républicaine » de qualité. 

(26) Obligation de quitter le territoire français.

(27) Intervention le 22 mai 2018.

(28) Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, et Stratégie nationale bas carbone (dite « SNBC 2 ») de 2020.

(29) Texte ici.

(30) Symptomatique que l’excellent livre de Jérôme FourquetL’Archipel français, soit paru sous la présidence d’EM (en 2019).

(31) Que Macron a clairement critiqué, donnons-lui en crédit : « Je déteste ce truc, je suis contre la woke-culture. » (23 mars 2023). Mais il a nommé Pape N’Diaye, connu pour ses positions décolonialistes … Ministre de l’éducation. « en même temps » quand tu nous tiens ! Avant de réaliser sa bévue et de le remplacer au bout d’un an.

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