
A la suite des annonces1 pro-natalistes du Président de la République lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, sur la base du constat que la natalité française est au plus bas depuis 19462, Sandrine Rousseau, la député EELV de Paris, a réagi ainsi : « La question de la natalité, on a l’impression que c’est une espèce d’affaire d’État […], les utérus des femmes ne sont pas une affaire d’Etat. (…) Chaque femme est libre de choisir de faire des enfants ou de ne pas en faire. (…) les femmes font absolument ce qu’elles veulent de leur corps ».
Une fois n’est pas coutume, elle a totalement raison. La décision d’avoir des enfants n’est pas seulement celle de la femme, mais aussi et surtout celle du couple, aujourd’hui de moins en moins marié3. Ce n’est pas une décision de l’Etat, et ne saurait jamais le devenir.
En revanche, on peut s’interroger sur cette autre remarque de la serial trublion écolo-woko-féministe : « Il n’y a pas d’espèce d’enjeu national à ce qu’il y ait des enfants ».
L’Etat peut-il se désintéresser d’une natalité en berne, et peut-il tenter d’influer sur le comportement des gens ?
Précédents sulfureux
L’Etat s’est souvent mêlé du devenir biologique de son peuple, qu’il s’agisse d’en réguler le nombre ou d’en maintenir la pureté plus ou moins fantasmée.
La préservation de la supposée race aryenne était une obsession du régime nazi, qui a mis en place des politiques natalistes vigoureuses, des mesures d’euthanasie (contre les handicapés notamment), ou encore ciblant la « pureté raciale » (comme l’interdiction des mariages inter-raciaux, ou le programme Lebensborn).
Le régime communiste chinois, plus préoccupé par la surpopulation, a longtemps (de 1979 à 2015) pratiqué la politique de l’enfant unique, ce qui a conduit à des avortements et stérilisations forcés, mais aussi à des infanticides et à un déséquilibre croissant entre les sexes (la population d’hommes dépassant largement celle des femmes). Confronté au vieillissement de la population, le régime a accepté des assouplissements et dernièrement (juillet 2022) annoncé que les pénalités au-delà de trois enfants étaient supprimées.
Aldous Huxley a dépeint dans sa dystopie fameuse, Le meilleur des mondes (1932), le point extrême que pourrait atteindre l’obsession eugéniste : reproduction en laboratoire, sélection en vue de la création d’une société strictement stratifiée et hiérarchisée, abolition de la famille traditionnelle, conditionnement idéologique d’une population également sous emprise de la drogue (soma, que rappelle la pilule bleue dans la trilogie des Matrix), etc.
Assez curieusement, l’idée pro-nataliste est classée aujourd’hui en France à droite, voire à l’extrême-droite. C’est sans doute parce que les formations de droite se font davantage l’écho de cette préoccupation, ou que le zèle pro-nataliste du Premier ministre hongrois4 classé à l’extrême droite en aurait discrédité la notion. Pourtant, il existait un large consensus des forces politiques et de la société à la Libération autour d’une politique nataliste vigoureuse.
Les bonnes raisons de poursuivre une politique nataliste
Quoiqu’en chute libre (figure 1), la France conserve un taux de fécondité5 plus élevé que celui des pays occidentaux, sauf Israël (figure 2).


Mais la faiblesse et le déclin des autres pays, dans une sorte d’implosion collective de l’Occident6, n’est pas une raison de pavaner, sinon par une sorte de schadenfreude douteuse.
Il y a plusieurs raisons de tenter de redresser une fécondité déclinante.
Une natalité en baisse conjuguée à une espérance de vie de plus en plus longue signifie un vieillissement du pays. Entre 1991 et 2023, la part des moins de 20 ans est passée de 27,7% à 23,5%, celle des plus de 60 ans de 19% à 27,5% et l’âge médian de 34 à 41 ans.
Ce vieillissement se traduit par un ralentissement de la croissance de la population active et donc du nombre de personnes susceptibles de travailler. Celle-ci a augmenté de 800 000 depuis 2015 tandis que la population globale augmentait de 2 millions. Mais sans la hausse du taux d’activité depuis 2005 (de 70,4% à 73,6%7), la population active aurait stagné, voire reculé. Cet effet sera visible dans les années qui viennent. Joint à l’inadéquation de l’orientation et de notre formation, ceci va exacerber les tensions entre offre et demande d’emplois, qui ont déjà conduit le Gouvernement à plaider pour davantage d’immigration (ou de régularisation de clandestins).
La stagnation, voire réduction du nombre des actifs tandis que celui des inactifs augmente, va accentuer le problème de l’équilibre de nos régimes de retraite obligatoires majoritairement fondés sur la répartition. Plus exactement, il les condamne à terme rapproché, sauf à réduire les prestations, ou relever les cotisations à un niveau punitif, ou reculer encore l’âge légal de départ à la retraite. Ou à ouvrir plus grand les vannes de l’immigration.
Une autre conséquence du vieillissement est le poids croissant des dépenses sociales liées aux personnes âgées et à la dépendance. Dépenses de retraite mais aussi de santé (affections de longue durée, etc.). Selon France Stratégie : « à niveau inchangé de prestations et contributions par tête à chaque âge, (…) si la pyramide des âges avait été en 2019 celle attendue pour 2040, les dépenses de protection sociale auraient été supérieures de 100 milliards d’euros à leur valeur observée ; et les recettes inférieures de 20 milliards« .8 Selon le rapport de Dominique Libault sur la dépendance, le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie (au sens de bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie, APA) passerait de 1 265 000 personnes en 2015 à 1 582 000 en 2030 et 2 235 000 en 20509.
La vieillissement conduit à une reconfiguration progressive de la société, de l’économie et du territoire : fermeture d’écoles, offre sanitaire, marché du logement, types de consommation, basculement de la population vers les régions plus attractives aux seniors (littoraux notamment) et dépérissement des territoires ruraux, et même les émissions de gaz à effet de serre10.
Des études montrent aussi l’impact négatif du vieillissement sur l’innovation, moteur des progrès de productivité, et donc de la croissance économique, le nombre de brevets et d’innovations disruptives déclinant avec l’âge11.
Et que penser des conséquences plus diffuses du vieillissement sur la psyche et le dynamisme du pays ?
On comprend alors que les dirigeants d’un Etat comme la France ne puissent se désintéresser de la question démographique et que la saillie verbale de Madame Rousseau ne soit que la énième divagation d’une idéologue irresponsable.
Comment ranimer une natalité défaillante ?
Se pose alors la question des instruments et des moyens. L’Etat démocratique ne peut agir que par des exhortations et des incitations, non par la coercition (d’ailleurs probablement vaine). L’hypothèse est que la natalité est désirée (ou n’est pas refusée), mais empêchée par une série d’obstacles.
Il y a deux tendances de fond (en Occident tout au moins) qu’aucune mesure, si ambitieuse si généreuse soit-elle, ne pourra inverser. La première est le recul du christianisme, une religion optimiste qui invite à augmenter le peuple de Dieu12. La seconde est la peur d’enfanter dans un monde dangereux, hostile, hérissé de risques et de périls. On entend même dire qu’il ne faudrait pas ajouter d’enfants à une population mondiale déjà surnuméraire et qui fonce vers un cataclysme climatique. Un monde déchristianisé, un monde anxiogène, deux raisons de ne plus vouloir d’enfants.
On sait aussi que le cadre familial traditionnel est en voie de dislocation : de moins en moins de mariages, de plus en plus de naissances hors mariage (65% en 202213), de plus en plus de divorces, de plus en plus de familles monoparentales (une famille sur quatre en 2020 !14) , de plus en plus de couples de même sexe, etc.
En faisant l’hypothèse qu’il existe encore un désir d’enfants, mais que la matérialisation de ce dernier se heurte à des obstacles, que faire ? Et l’intervention publique a t-elle l’efficacité que certains lui prêtent dans un domaine qui est celui de l’intime, mais relève aussi de ce que Fernand Braudel appelle le temps long ?
Sur ce point, on est un peu dans le brouillard car « on manque d’études globales permettant d’apprécier les effets de l’ensemble complexe des mesures de politique familiale et socio-fiscale« 15.
Bornons-nous donc à ce stade à rappeler les principales mesures de la boîte à outil nataliste :
Garde des petits enfants et congé parental : Un frein évident à la natalité est que les soins et l’éducation d’un enfant en bas âge sont difficilement compatibles avec l’exercice d’une activité professionnelle, au moins à temps plein. La possibilité de cesser son activité pendant quelque temps et / ou de faire garder son ou ses enfants par un tiers est donc très bienvenue lorsqu’elle existe.
S’agissant de la garde en France, 49 % des enfants de moins de 3 ans étaient confiés à au moins un « mode d’accueil formel » fin 2021.16 Selon l’Observatoire national de la petite enfance (ONAPE), il manquerait cependant de places en établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE : crèches, etc.).
Quant au congé parental d’éducation (distinct du congé maternité, pré et post-natal accordé à la mère, qui suspend le contrat de travail et donne droit à des indemnités journalières de la sécurité sociale, et du congé paternité, uniquement post-natal, accordé au père ou partenaire de la mère), il permet à un salarié (et donc potentiellement aux deux parents), à l’occasion de la naissance ou de l’arrivée au foyer d’un enfant, et sous conditions d’ancienneté, d’arrêter de travailler pour s’occuper de l’enfant. Le contrat de travail est suspendu. Ce congé peut durer jusqu’à un an (renouvelable) et peut être total ou partiel. Le salarié n’est plus rémunéré, mais perçoit certaines allocations17. Trop peu de parents le demandent. Cet échec serait largement imputable au faible montant de l’indemnisation (398,80 euros par mois pour un congé à temps plein, quelle que soit la rémunération antérieure18).
Compléments de revenu : L’idée sous-jacente et évidente est que l’enfant dans une société moderne (où l’on doit le scolariser dès 3 ans et ne peut le faire travailler avant 16 ans) induit des coûts supplémentaires à la charge des parents (ou, de plus en plus, d’un parent seul). Ces compléments de revenu sont constitués en France de réductions d’impôt sur le revenu et d’allocations sociales.
La principale réduction d’impôt —le quotient familial— varie en fonction du nombre d’enfants et depuis 1982 est plafonnée. D’autres réductions ont pour objet soit de compenser des frais de scolarité, soit de prendre en compte une partie des coûts de garde des jeunes enfants. Selon la Cour des comptes : « L’impact sur les finances publiques de la prise en compte de la famille par le système fiscal a atteint un peu plus de 28 Md€ en 2021, dont 27,6 Md€ au titre de l’impôt sur le revenu, soit 1,1 % du PIB« . La Cour note cependant que « la période récente a été marquée par un recul de la prise en compte de la composante familiale par les impôts« 19.
En 2018, 6,9 millions de ménages bénéficient de prestations familiales, hors aides au mode de garde, pour un montant moyen de 1 630 euros annuels par « unité de consommation »20. Ces aides sont versées au moment des naissances (ou adoptions) et ultérieurement pour assurer l’entretien, l’éducation ou la garde des enfants par les parents. Elles représentent un peu plus de 4% du niveau de vie des ménages bénéficiaires, mais près de 12% pour ceux dont la personne de référence dudit ménage a moins de 30 ans21. De plus en plus, les prestations familiales sont soumises à conditions de revenus, c’est-à-dire qu’au-dessus d’un certain seuil de revenus, soit la famille n’y a plus droit, soit le montant des prestations versées est plus faible22. Le coût pour les finances publiques des prestations familiales s’est élevé à 30,8 milliards d’euros en 2022, au même niveau qu’en 201523.
Le coût total de la politique familiale est difficile à estimer, car elle englobe un vaste et disparate ensemble de mesures, mais représenterait selon l’OCDE quelque 2,9% du PIB (en 2020), soit plus que la moyenne des pays de l’OCDE (2,1% en 2019)24. Difficile cependant d’en inférer avec certitude que là réside l’explication du moindre déclin relatif de la natalité française25.
Au delà de ces mesures de soutien direct, il faut aussi prendre en compte le cadre de vie dans lequel s’inscrit la vie des familles. Peut-être que dans la réticences des jeunes générations à faire un enfant, entrent aussi en jeu la baisse de la qualité de l’enseignement, et l’insécurité grandissante de notre société. Rehausser la première, lutter contre la seconde peuvent aider à redresser la natalité, mais ceci n’aura d’effet qu’avec un long décalage. L’infertilité, dont a parlé le Président, et qui est en augmentation (en France, selon l’INSERM, environ un couple sur huit consulte en raison de difficultés à concevoir un enfant) a aussi des causes liées à l’environnement26.
Résumons. Il n’est pas illégitime de la part de l’Etat de se préoccuper de l’état de la démographie, si cette préoccupation ne découle pas d’un agenda expansionniste ou raciste27. L’efficacité des politiques natalistes n’est pas en revanche avérée, car on touche ici à des motivations qui ressortissent à l’intime, à la morale, à la religion (sans doute de moins en moins) et qu’influencent aussi l’état de la société et les espoirs ou craintes de l’époque. Crèches, allocations, et réductions fiscales ne peuvent avoir qu’un impact sinon marginal, du moins modeste, au regard de ces facteurs plus profonds.
Il faudrait essayer d’en savoir plus sur cette efficacité, avant de hausser le curseur de ces politiques publiques coûteuses ou d’en réaménager les composantes. Mais, dans l’attente de précisions sur ces mesures et leur coût, il n’y a pas de raison a priori de critiquer les annonces faites par le Président.
Notes :
- Un nouveau « congé de naissance », « mieux rémunéré (NDLR : que le congé parental d’éducation) et qui permettra aux deux parents d’être auprès de leur enfant pendant six mois » ; et un grand plan de lutte contre l’infertilité. ↩︎
- 678 000 naissances en 2023, contre 840 000 en 1946 et 881 000 à son pic en 1971. Ceci alors même que la population est plus élevée. L’indicateur conjoncturel de fécondité a été plus volatile, passant de 3 en 1946, puis à 2,5 en 1971 où il décroche jusqu’en 1994 (1,66) avant de remonter jusqu’à 2010 (2,01), puis de rechuter de nouveau jusqu’à son nadir de 2023 (1,67). Rappelons que le taux assurant le remplacement d’une génération est de 2,1, taux plus jamais atteint depuis 1974. Selon l’INSEE, les femmes immigrées ont 0,49 enfant de plus en moyenne que les femmes sans ascendance migratoire directe, et cette différence tend à diminuer (Source). ↩︎
- 65% en 2022 contre 37% en 1994. Source : INSEE. ↩︎
- Instauration d’une exonération totale d’impôts pour les mères de famille de plus de quatre enfants, prêts hyper-avantageux pour les parents, nationalisation de presque toutes les cliniques de fertilité du pays, etc. ↩︎
- L’indicateur conjoncturel de fécondité pour une année donnée correspond au nombre d’enfants que chaque femme pourrait mettre au monde si elle vivait jusqu’à la fin de sa période de fécondité et si elle donnait naissance au nombre d’enfants correspondant au taux de fécondité par âge de l’année considérée. ↩︎
- Mais pas seulement. En 2021, 124 pays —dont les 15 plus grandes économies du monde, y compris Chine, Inde, Brésil, Mexico, etc.— connaissaient un taux de fertilité inférieur au taux de remplacement de 2,1. Source: The Economist (cf. note 11). ↩︎
- Source : INSEE. ↩︎
- Source : France Stratégie. ↩︎
- Cf. Rapport de Dominique Libault de 2019: ici. ↩︎
- Selon une étude de l’INED : « la part des émissions imputables aux personnes âgées augmentera dans les années à venir car elles émettent davantage et seront plus nombreuses« . Source : INED. ↩︎
- The Economist. Ageing and innovation. 3 juin 2023. ↩︎
- Selon le Catéchisme de l’Église catholique : « La Sainte Écriture et la pratique traditionnelle de l’Église voient dans les familles nombreuses un signe de la bénédiction divine et de la générosité des parents. » ↩︎
- Source : INSEE. ↩︎
- Source : INSEE. ↩︎
- Source : Vie publique. ↩︎
- L’offre d’accueil formelle correspond à un instant donné au nombre de places disponibles auprès d’assistantes maternelles, en établissements d’accueil du jeune enfant (Eaje), en classes préélémentaires, et auprès de salariées à domicile. Il faut noter qu’une place n’équivaut pas à un enfant. Source : ONAPE. ↩︎
- Détails ici. ↩︎
- La Prestation d’Accueil du Jeune Enfant (PAJE), versée par les CAF, qui se décompose elle-même en 4 aides, cf. site de la CAF. ↩︎
- La prise en compte de la famille dans la fiscalité. 2023. Rapport ici. ↩︎
- Pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente, on divise le revenu par le nombre d’unités de consommation (UC), généralement calculées de la façon suivante : 1 UC pour le premier adulte du ménage, 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans ou plus, 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans. Source : INSEE. ↩︎
- Source : INSEE. ↩︎
- Source : Service public. ↩︎
- Source : Dossier statistique des prestations familiales. Editions 2023. Direction de la sécurité sociale. Ici. ↩︎
- Source : OCDE. ↩︎
- Selon le démographe belge, John F. May : « Les généreuses mesures pronatalistes françaises ne semblent pas avoir ramené la fécondité au niveau de remplacement, bien que la France fasse mieux que la plupart des pays européens« . Source : ici. ↩︎
- Elle est définie comme l’absence d’obtention d’une grossesse évolutive au bout d’un an de rapports réguliers non-protégés, sans contraception. Source : INSERM. ↩︎
- Le risque de surpopulation soulève une question plus délicate. Beaucoup s’inquiètent, sans le dire (car ce serait politiquement incorrect), de l’explosion démographique de l’Afrique, alors même que les flux migratoires en provenance de l’Afrique augmentent de façon alarmante. Que faire ? ↩︎
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