L’Union européenne à la veille des élections de 2024 : (1) Profil

Le scrutin pour l’élection de nos représentants au Parlement européen approche (9 juin 2024 pour la France)1. Je crains que beaucoup de Français ne mettent leur bulletin dans l’urne qu’avec une idée très brumeuse (ou lestée d’a priori) de ce qu’est l’Union européenne (UE), et qu’ils ne songent surtout qu’à exprimer d’une autre manière tout le bien ou le mal qu’ils pensent du Président de la République et de son gouvernement. C’est le type même de l’élection-défouloir où l’on peut exhaler sa mauvaise humeur sans grandes conséquences, croient-ils, sur le cap de la politique nationale. Ce serait dommage, car le Parlement européen joue maintenant un rôle important dans l’élaboration de la loi européenne et le contrôle de ses instances dirigeantes. Ce rôle reste largement méconnu, car l’organisation et le mode de fonctionnement de l’UE sont complexes.

Dans ce premier article, j’esquisse un rapide profil de l’Union européenne (poids démographique, économique, militaire) ; dans le second, j’essaie d’en présenter à gros traits les institutions, et, dans le troisième, de dresser un bilan (sommaire et sélectif, mais j’espère objectif) de son action. J’entends tellement de jugements à l’emporte-pièce sur l’Union européenne, y compris ceux que me murmure mon cerveau paresseux et partisan, que j’ai décidé de reconsidérer tout cela d’un oeil neuf, comme si je ne savais rien du sujet.

L’Union européenne (UE) est l’héritière, très agrandie, de la petite Communauté économique européenne (CEE) créée en 1957 par le Traité de Rome et qui ne regroupait à l’époque que six Etats d’Europe occidentale : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, et Pays-Bas. A l’issue de plusieurs vagues d’élargissements2 et un retrait (la Grande-Bretagne en 2020), elle compte 27 membres (figure 1). Le terme d’Union européenne date du Traité de Maastricht (ou Traité sur l’Union européenne) de 1992, qui crée l’architecture de base de l’union actuelle3, et une citoyenneté européenne.

L’Europe, c’est d’abord un mélange très bigarré de peuples, de cultures, de langues, de religions, une diversité de paysages, et de climats, de régimes politiques, etc. Mais aussi une histoire commune, faite de guerres fratricides, d’invasions, d’empire créés puis perdus, de réconciliations4. Et une science, des littératures, des arts, des arts de vivre, des moeurs —dont le philosophe, sociologue, historien Norbert Elias a étudié la transformation dans un livre majeur5, en bref, une, voire des civilisations6. Je ne me prononce pas (ici en tout cas) sur la question de savoir s’il existe une identité européenne, et quelle est son essence7, sans toutefois mettre en doute un seul instant que nous partageons des valeurs et des affinités, et que celles-ci sont largement inspirées par nos racines chrétiennes, même si le christianisme comme croyance et plus encore comme pratique est en net recul en Europe. Comme l’a écrit sagement Edgar Morin : « La notion d’Europe doit être conçue selon une multiple et pleine complexité »8.

Je me concentre ici plus modestement sur ces aspects tangibles qui définissent une partie de la puissance : la démographie, l’économie, la capacité militaire.

Figure 1 : l’Union européenne et ses 27 membres au 1/1/2024

1) Poids démographique

La population de l’UE au début 2023 était de 448 millions d’habitants (soit 60% des 741 millions d’Européens au sens des Nations unies9), soit guère plus de 5% de la population mondiale, une part qui régresse. L’Allemagne compte la population la plus élevée (84 millions), suivie par la France (68 millions). Depuis 2012, le nombre de décès est supérieur à celui des naissances, et la population ne s’accroît plus que grâce à l’immigration nette. Celle-ci a considérablement augmenté à partir du milieu des années 1980 et a été le principal déterminant de la croissance démographique depuis les années 199010. Le solde migratoire a augmenté en valeur absolue, passant de +1,1 million en 2021 à +2,9 millions en 2022 (figure 2). Le déclin démographique de l’Europe est une préoccupation. J’y reviens ci-après.

Figure 2 : Evolution de la population de l’UE depuis 1960. Source : Eurostat.

2) Poids économique

Avec un PIB de 15 800 milliards de PPS (NB : pour l’UE un PPS égale un euro) en 2022, l’UE se place au troisième rang mondial en termes de PPA11 derrière la Chine et les Etats-unis. Le PIB de la Chine en PPA a dépassé celui de l’UE en 2013, et celui des États-Unis en 2016. Le PIB européen représente un peu moins de 15% du PIB mondial contre environ un tiers il y a 40 ans (en PPA, et pour l’UE à 27, qui n’existait pas à cette époque), et cette part régresse (figure 3). À elle seule, l’Allemagne représentait 21,9 % du PIB de l’UE en 2022, contre 22,4 % en 2005. Les parts des trois autres plus grands États membres ont diminué plus fortement entre 2005 et 2022, avec une baisse de 2,4 points de pourcentage en Italie, de 1,3 point en Espagne et de 1,0 point en France (15,5% en 2022).

Figure 3 : Evolution du PIB de l’UE 2005-2022. Source : Eurostat

En 2022, le PIB moyen par habitant de l’UE (en prix courants) s’élevait à 35 220 euros. Comme le montre la figure 4, il y a une assez grande dispersion des niveaux de revenu au sein de l’UE, reflet des divergences de performance économique, et de l’intégration plus récente des pays d’Europe centrale et orientale. La France se situe d’un poil au dessus de la moyenne (indice 102 par rapport à la moyenne en base 100 et en PPA) et n’arrive qu’au 10e rang.

Figure 4 : PIB par habitant dans l’UE (moyenne = 100). Source : Eurostat

3) L’Europe monétaire, la zone euro

La création d’une monnaie unique européenne n’est pas stipulée dans le Traité de Rome, ni envisagée. Ce sujet va venir à l’ordre du jour à mesure que se délabrait l’ordre monétaire international issu des accords de Bretton Woods en 1944, et fondés sur la suprématie du dollar arrimé à l’or et des parités fixes. La décision de créer l’euro a été officialisée lors du Traité de Maastricht. Rappelons que la mise en place rapide d’une monnaie commune était une des conditions fixées par le président Mitterand en 1989 pour son acceptation de la réunification allemande en 1990.

Si tous les Etats-membres de l’UE le sont de l’Union économique et monétaire (UEM, créée par le traité de Maastricht12), 20 pays ont adopté l’euro depuis l’entrée en vigueur de celui-ci en 200213, c’est à dire tous sauf Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Suède et Tchèquie, qui le rejoindront lorsqu’ils auront rempli les conditions nécessaires14, et le Danemark qui a opté de ne pas l’adopter (figure 5).

Figure 5 : Pays de la zone euro 2024

La zone euro représentait 80,7 % du PIB de l’UE en 2022 (mesuré en termes de PPA). En 2022, la somme des quatre plus grandes économies des États membres de l’UE (Allemagne, France, Italie et Espagne) représentait un peu moins des trois cinquièmes (59 %) du PIB de l’UE (en PPS).

Durant la période 2005–2022, la croissance du PIB en volume (corrigée de l’inflation) de la zone euro (+19.8 %) a été plus faible que celle de l’UE dans son ensemble (+23.7 %).

4) Poids militaire

Les dépenses militaires des pays de l’UE s’élèvent à 240 milliards d’euros (environ 250 millards de dollars US) en 202215, à comparer aux 877 milliards de dollars des Etats-Unis (soit 3,5 fois moins), aux 292 milliards de la Chine (soit 0,9 environ) et aux 86 milliards de la Russie (soit 2,9 fois plus). On ne peut évidemment comparer l’agrégation des dépenses militaires de 27 Etats à la dépense totale d’un seul pays. Dans le cas de l’UE, il s’agit d’une mosaïque d’armées nationales fonctionnant avec des matériels différents, tempérée par des coopérations bilatérales (comme la brigade franco-allemande), une timide harmonisation des matériels et des achats, et la coordination que permet l’appartenance à l’OTAN de 22 des 27 Etats membres de l’UE (la Suède sera le 23e lorsque son entrée sera confirmée16)(figure 6). On voit à travers la guerre en Ukraine que l’UE (dont l’aide militaire est très en deçà de celle des Etats-unis17) peine à contrer la puissance militaire russe. La faiblesse militaire relative de l’UE par rapport à ses grands rivaux géopolitiques est un autre sujet de préoccupation.

Figure 6 : Membres de l’UE et de l’OTAN. Source : toute l’Europe

Notes :

  1. La première élection a eu lieu en 1979. La France élit 79 représentants sur 709. C’est moins que son poids démographique dans l’UE : 11% contre 15%. ↩︎
  2. 1973: Danemark, Irlande et Royaume-uni. 1981 : Grèce, 1986 : Espagne, Portugal, 1995 : Autriche, Finlande, Suède, 2004: Chypre, Hongrie Lettonie, Lithuanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, République tchèque, 2007 : Bulgarie, Roumanie, 2013 : Croatie) ↩︎
  3. Le TUE englobe les Communautés européennes préexistantes en modifiant les traités les instituant (TCEETraité Euratom, et Traité CECA), la nouvelle politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ↩︎
  4. Excellente introduction à l’histoire de l’Europe dans le livre collectif éponyme publié sous la direction de Jean Carpentier et François Lebrun. Le Point, Seuil, 2014. ↩︎
  5. La civilisation des moeurs. 1939. ↩︎
  6. Samuel Huntington dans son célèbre ouvrage Le choc des civilisations (The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order), paru en 1996, fait de l’Europe occidentale un rameau de l’Occident, tandis que les pays européens de religion orthodoxe de l’est (Bulgarie, Roumanie, etc.) appartiennent à la civilisation éponyme, dont le coeur est la Russie. Je n’entre pas dans cette discussion. ↩︎
  7. Sur ce sujet, entre autres, cf. le livre de Rémi Brague, philosophe chrétien, : Europe, la voie Romaine (1992), dans lequel il entend « montrer que l’Europe est essentiellement romaine, en montrant que l’on peut récapituler les altérités par lesquelles elle se définit à partir de sa latinité ». ↩︎
  8. Penser l’Europe. 1987 ↩︎
  9. Source : INED. Les trois plus grands pays européens hors UE sont la Russie, le Royaume-uni et l’Ukraine, soit au total quelque 250 millions d’habitants. ↩︎
  10. Il y avait dans l’UE au 1/1/2022 près de 24 millions de non-nationaux (non-citoyens) non originaires d’autres pays de l’UE, représentant 5,3% de la population. Source : Eurostat. ↩︎
  11. Parité de pouvoir d’achat : elle corrige le PIB résultant des taux de change nominaux en prenant en compte le niveau des prix dans chaque pays. Typiquement cela conduit à rehausser le PIB en dollars des pays en développement comme la Chine. Le Purchasing Power Standard (PPS, standard de pouvoir d’achat), est une unité monétaire artificielle. En théorie, un PPS permet d’acheter la même quantité de biens et de services dans chaque pays. Cependant, les différences de prix entre les pays signifient que des quantités différentes d’unités monétaires nationales sont nécessaires pour les mêmes biens et services selon le pays. Les PPS sont obtenus en divisant tout agrégat économique d’un pays en monnaie nationale par leurs PPA respectives. ↩︎
  12. Plus d’informations, ici. ↩︎
  13. Hors de l’Union européenne, quatre micro-États (AndorreMonacoSaint-Marin et Vatican), trois pays et territoires d’outre-mer françaises (Saint-Pierre-et-MiquelonSaint-Barthélemy et Terres australes et antarctiques françaises) et un territoire d’outre-mer britannique (les bases Akrotiri et Dhekelia situées à Chypre) sont également officiellement autorisés à utiliser l’euro. Monténégro et Kosovo sont par contraste les deux pays européens non-membres qui l’utilisent sans accord de facto.
    D’autres pays ont leur monnaie nationale liée à l’euro du fait d’un amarrage antérieur au franc français, à l’escudo portugais ou au mark allemand : BéninBosnie-HerzégovineBurkina FasoCamerounCap-VertComoresCongo (Brazzaville)Côte d’IvoireGabonGuinée équatorialeGuinée-BissauMaliNigerNouvelle-CalédoniePolynésie françaiseWallis-et-FutunaRépublique centrafricaineSao Tomé-et-PrincipeSénégalTchadTogo. ↩︎
  14. Il y a 4 « critères de convergence » : la stabilité des prix, des finances publiques saines, la stabilité du taux de change, et les taux d’intérêt à long terme. ↩︎
  15. Source : Agence de défense européenne. ↩︎
  16. Au 26 janvier 2023, la Hongrie est le dernier membre de l’OTAN à devoir ratifier l’admission de la Suède. ↩︎
  17. Cf. le traçage réalisé par le Kiel Institute : ici. ↩︎

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