
L’Union européenne est-elle une réussite ?
Pour le journaliste en mal de gros titre qui claque, pour l’électeur européen qui veut une réponse simple susceptible d’éclairer son choix de citoyen, il est très difficile de répondre à cette question. Cette difficulté provient dans une large mesure de la complexité de l’organisation européenne et de ce qu’il nous manque le scénario contrefactuel, c’est à dire celui d’une Europe sans Union européenne, sans ces institutions, politiques, investissements, etc. qui ont profondément façonné l’Europe depuis plus de 60 ans. C’est le problème classique qui se pose à l’historien désireux d’interpréter n’importe quelle période de l’histoire : quel aurait pu être un déroulement alternatif de l’histoire européenne si en 1957 les six fondateurs de la Communauté économique européenne (prédécesseur de l’UE) n’avaient pas signé le Traité de Rome ?
Faute d’avoir cette capacité, et le savoir encyclopédique de cet Européen célèbre de la Renaissance, Pic de la Mirandole (à qui l’on prête ces mots : « Je sais beaucoup de choses que beaucoup ignorent »), je me bornerai ici à quelques remarques.
a) Paix entre les Etats membres
S’il est difficile de démêler ce qui est dû à la construction européenne de ce qui serait advenu de toute façon même en son absence, le résultats est néanmoins incontestable : ses Etats-membres, déchirés pendant des siècles par les discordes et les guerres sont en paix depuis la fin de la seconde guerre mondiale. C’était la raison d’être du projet initial ; il a donc réussi à cet égard.
b) Sécurité extérieure
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a sonné comme un réveil brutal pour les pays de l’UE. Voici que la guerre à grande échelle réapparaissait sur le territoire du Vieux continent (les guerres yougoslaves —Bosnie, puis Kosovo entre 1991 et 1999— étaient des guerres civiles, même si l’OTAN s’en est mêlé1), et qu’elle soulignait la vulnérabilité et les fragilités de l’Union européenne.
L’Ukraine n’est pas membre de l’UE ni de l’OTAN, mais très vite l’une et l’autre ont pris des mesures pour sanctionner la Russie, aider militairement l’Ukraine pour qu’elle puisse se défendre sans risquer une escalade, et renforcer leur défense. On a vu plus haut que l’agression russe a balayé les dernières réticences de la Finlande et de la Suède, traditionnellement neutres, à rejoindre l’OTAN.
Le constat est cruel, mais imparable : l’Union européenne est un nain en matière de défense, et comme le relève Pierre Verluise : « depuis le début du XXIe siècle, c’est généralement l’adhésion à l’OTAN qui précède la candidature et l’adhésion à l’UE« 2. Comme si cette dernière n’avait rien à offrir en la matière, ce qui n’est pas faux.
Depuis le rejet en 1954 par l’Assemblée nationale française3 du projet de Communauté européenne de défense (CED) —qui prévoyait une armée européenne—, la défense est restée au second plan des préoccupations des Etats membres qui se satisfaisaient de rester à l’abri du parapluie américain (via l’OTAN), sauf des pays tels la France et le Royaume uni, ex-grandes puissances déclassées mais dotées de l’arme nucléaire, d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, de résidus d’empire, et désireuses de conduire une politique de puissance moyenne.
Certes, avec la PESC et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC, établie par le traité de Lisbonne), qui en est le volet concernant la défense et la gestion des crises, l’UE s’est dotée d’un embryon de politique de défense et d’outils à cet effet4, notamment un plan de mise en œuvre en matière de sécurité et de défense et une coopération structurée permanente (CSP) et un Fonds européen de la défense (FED).
Mais au milieu des périls, et disons-le d’ennemis, l’UE reste tragiquement désarmée. Toutes les coopérations du monde ne valent pas une armée. Et l’OTAN, qui a bénéficié d’un regain de légitimité à la suite de l’agression russe, ne saurait ad vitam aeternam en constituer le bras armé, pour cette seule et simple raison que l’OTAN est dirigée par une puissance tierce, les Etats-unis, dont l’amitié, la bénévolence, l’intérêt pour l’Europe ne sauraient être tenus pour indéfectibles. Ne comptons jamais sur un autre pour assurer notre défense. L’UE restera un nain stratégique aussi longtemps qu’elle ne disposera pas d’un outil de défense qui lui soit propre5.
La question de la défense en cache une autre plus profonde : celle de savoir si l’UE veut devenir à son tour une puissance. S’inspirant des travaux de Raymond Aron, Serge Sur définit ainsi la puissance : « capacité de faire ; capacité de faire faire ; capacité d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire »6. L’UE (qui devra quoi qu’il arrive dépenser plus pour sa défense que 1,5% de son PIB, comme en 2022) ne pourra plus longtemps éluder cette question, mais, prévient Pierre Verluise : « cet accouchement d’une UE puissance dans les fracas de la guerre russe en Ukraine sera douloureux et long, tellement nous avons tardé »7.
c) Prospérité économique
Il est incontestable que les pays membres de l’UE se sont enrichis depuis les débuts de la CEE en 1957 (cf. supra).
La création du marché unique a entraîné une hausse très forte des échanges entre Etats membres8, à tel point que pour 24 pays la part des exportations de biens à l’intérieur de l’Union était supérieure à celle des exportations hors UE (figure 1), de sorte que la valeur du commerce intra-UE de marchandises a été 1,5 fois plus élevée que la valeur du commerce hors UE de marchandises en 2022.

L’UE dans son ensemble est un grand exportateur (le second derrière la Chine) et importateur de biens et services, mais n’équilibre que marginalement ses échanges extérieurs. L’excédent commercial des années 2012-2021 s’est même transformé en un déficit commercial de 430 milliards d’euros en 2022, en raison de la forte augmentation des prix de l’énergie suite à la guerre en Ukraine.
On a vu plus haut que le poids économique de l’UE s’amenuise par rapport à la Chine, l’Asie plus généralement, et même aux Etats-unis. Résultat d’un taux de croissance plus faible, qui à son tour reflète pour partie l’affaiblissement démographique de l’UE (cf. supra), et d’un effet de rattrapage par le reste du monde moins « développé ». Peut-être cela est-il dans l’ordre des choses, et l’EU ne ferait-elle au fond que rentrer dans le rang, celui qui est le sien dans la longue durée, celui qui était le sien à l’aube de la Révolution industrielle, —qui lui a permis de dominer le monde et inspiré l’arrogance de se croire investie du « devoir de civiliser les races inférieures« , selon l’expression, aujourd’hui terriblement malheureuse, de Jules Ferry en 1885 (figure 2, malheureusement datée).

Mais on peut se demander aussi si l’EU, dans son zèle à tout vouloir réglementer et harmoniser, n’a pas mis des bâtons dans les roues de la croissance. La moindre performance économique de la zone euro par rapport à l’ensemble de l’UE (cf. supra) intrigue en tout cas. L’imposition d’un corset monétaire unique —limiteur de flexibilité— sur ces Etats n’a t-elle pas agi comme un frein sur leur croissance ?
Je n’évoque qu’en passant l’euro, qui a survécu à la crise grecque (2008-2015) et à la crise des sub-primes qui faillit terrasser le système financier mondial en 2007-2008. A partir de 2008 (mais officiellement seulement en 2015), la BCE, suivant l’exemple de la Fed américaine, de la Banque d’Angleterre et de la Banque du Japon, se lança dans une expérience sans précédent d’ »assouplissement quantitatif » (monétaire)(traduction de Quantitative Easing, QE), c’est à dire l’émission de monnaie (banque centrale) en contrepartie de l’achat de titres obligataires détenus par les banques. En 2013, la BCE a initié l’exercice inverse de « resserrement quantitatif » (monétaire)(traduction de Quantitative Tightening, QT), pour réduire son bilan qui avait fortement gonflé du fait des campagnes successives de QE. Il n’est pas démontré (à ma connaissance), mais il n’est pas exclu, que cette création massive de liquidités nouvelles ait facilité le regain d’inflation enregistré depuis 2022.
L’euro est-il à l’abri de nouvelles crises, en particulier celle qui pourrait résulter du surendettement de certains Etats-membres comme l’Italie, mais aussi la France, et de la hausse des taux d’intérêt qui alourdit considérablement la charge de cette dette ? L’avenir le dira.
d) Convergence entre régions et Etats membres
La politique régionale de l’Union européenne vise (fort légitimement, à mon sens) à réduire les écarts de développement entre ses régions constitutives par un transfert de ressources des régions les plus riches vers les plus démunies.
Elle se fonde sur l’article 174 du TFUE, qui exige la réduction de “l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions”.
C’est l’un des plus gros postes de son budget (entre 2021 et 2027, l’UE consacrera 331 milliards d’euros à sa politique de cohésion, soit environ un tiers de son budget, déployés au travers de plusieurs fonds, dont le FEDER9, le Fond social européen et le Fonds de cohésion, qui cible les régions les plus pauvres10).
Il y a bien eu une convergence des niveaux de revenus par habitant au sein de l’UE au fil des années, particulièrement au bénéfice des pays d’Europe centrale et orientale11. Mais la dernière période a vu un certain décrochage de l’Europe du Sud12, et de larges disparités subsistent d’une région à l’autre (figure 3), voire se sont creusée au sein des plus anciens Etats-membres13. Rattrapage entre pays, mais divergences accrues entre régions en pointe et régions à la traîne et entre les grandes villes et les zones rurales.

e) L’agriculture, plus ancienne politique communautaire
L’agriculture ne représente plus qu’une part minime de la production de l’Union europénne, 1,4% du PIB en 202014. Mais cela ne rend pas compte de son importance réelle, qu’il s’agisse par exemple de souveraineté alimentaire15, ou de sa contribution et de sa vulnérabilité au changement climatique (l’agriculture représente 11 % des émissions nationales annuelles de GES de l’UE, dont près de 70 % proviennent du secteur animal).
La politique agricole commune (PAC) est la politique la plus ancienne de l’UE. Créée par le traité de Rome en 1957, elle a été mise en place en 1962. Ses cinq objectifs originels étaient alors, non sans d’ailleurs quelques contradictions : d’accroître la productivité de l’agriculture ; d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ; de stabiliser les marchés ; de garantir la sécurité des approvisionnements ; et d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs. Depuis, s’y sont ajoutés les principes de respect de l’environnement, de sécurité sanitaire et de développement rural.
Au cours de ses trente premières années d’existence (1962-1992), la PAC était essentiellement une politique d’intervention sur le marché. Elle subventionnait les exportations et taxait les importations. Elle encourageait ainsi la surproduction, d’où les montagnes de beurre et les lacs de lait.
Ces dispositions ont été remises en cause lorsque l’agriculture a été intégrée dans le champ d’application de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) lors des négociations du cycle de l’Uruguay (1986-1993).
Pour être compatible avec le nouvel accord du GATT sur l’agriculture, la PAC a dû modifier ses modalités d’octroi des subventions. Les achats à l’intervention et les subventions à l’exportation ont été progressivement supprimés et remplacés par des paiements directs aux agriculteurs. En outre, les formes d’agriculture plus intensives originellement encouragées par la PAC ont eu un certain nombre d’incidences négatives sur l’environnement. L’UE a donc cherché à « verdir » la PAC, mais ces mesures semblent avoir été peu efficaces.
La réforme du 26 juin 2003 a tenté de résoudre le problème des difficultés de financement liées à l’élargissement à l’Est. Depuis lors, les aides ne sont plus corrélées à la production. Un paiement unique par exploitation a été introduit, et ce à la condition de respecter des normes européennes en matière d’environnement et de sécurité alimentaire.
En 2013 une nouvelle réforme vise à rendre la politique agricole plus économe, plus juste socialement mais aussi toujours plus écologique et davantage axée sur le développement rural que sur le soutien aux prix et sur les aides directes. La réforme, entrée en vigueur en 2015, prévoit : i) que les paiements directs sont distribués plus équitablement entre États membres (aucun d’entre eux ne peut recevoir moins de 75% de la moyenne communautaire d’ici à 2019), régions et exploitants ; ii) un « verdissement » de l’aide en contrepartie d’exigences environnementales : ainsi, 30% des paiements directs sont conditionnés au respect de trois pratiques agricoles (préservation de zones d’intérêt écologique ; diversification des cultures ; maintien de prairies permanentes).
Une nouvelle PAC s’applique depuis le 1er janvier 2023. Pour la période 2023-2027, elle s’articule autour de dix objectifs clés à visée sociale, environnementale et économique, et s’appuie désormais sur des plans stratégiques nationaux (PSN), qui précisent la manière dont l’État membre utilisera les financements de la PAC pour satisfaire à ses besoins, notamment les outils à utiliser et ses objectifs spécifiques. L’enveloppe globale 2023-2027 est de 264 milliards d’euros, dont 45 milliards fléchés pour la France.
La réforme a opéré un tournant important vers une forme de renationalisation de la PAC et donne davantage d’autonomie aux États membres, en vertu du principe de subsidiarité, et introduit une flexibilité accrue avec les PSN (qui doivent être approuvés néanmoins par la Commission), qui permettent aux États membres d’adapter les aides aux spécificités de leurs territoires agricoles.
La PAC a été longtemps (jusqu’en 2006) la plus coûteuse des politiques communautaires. A la suite de réformes successives, la part des dépenses agricoles dans le budget communautaire n’a cessé de diminuer (de 66% au début des années 80 à 31 % pour la période 2021-2027). Aujourd’hui, la PAC est approximativement au même niveau en termes de budget que la politique de cohésion16. Et la France en est le premier bénéficiaire (plus de 17%, et 9,5 milliards d’euros reçus en 2022).
Les critiques les plus récentes de la PAC mettent en avant le fait qu’elle exacerbe les inégalités de revenus entre exploitants, tandis que peu de fonds soutiennent les régions agricoles respectueuses du climat et de la biodiversité, et recommandent de réorienter et de mieux contrôler les paiements de la PAC afin d’atteindre les objectifs en matière d’environnement, de durabilité et de développement rural énoncés dans les nouveaux objectifs de la PAC17.
Mais les récents mouvements de protestation des agriculteurs en Europe, et notamment en France (janvier 2024) suggèrent que la crise est plus profonde, avec une revendication multiforme, qui englobe une juste rémunération certes18, mais aussi l’excès et parfois l’incohérence des normes (cf. infra), l’augmentation des importations de produits soumis à des normes sanitaires moins strictes (cf. le débat actuel sur l’accord avec le Mercosur), la transmission des exploitations, et, last but not least, le besoin de dignité d’une profession qui se sent abandonnée et injustement critiquée19.
f) L’Union européenne, championne de la lutte contre le changement climatique
L’UE s’est fixé fin 2019 l’objectif très ambitieux d’atteindre la neutralité carbone (zéro émissions nettes) en 2050. Elle a adopté à cette fin le Pacte vert (Green deal) et un arsenal de mesures, dont le paquet Fit for 55.
Et de fait, l’UE est le bon élève de la classe mondiale, avec une réduction de ses émissions de l’ordre de 30% depuis 30 ans, tandis que les émissions globales continuaient de caracoler et d’atteindre un nouveau record en 2023 (environ 60 milliards de tonnes de CO2 équivalent), en dépit de tous les avertissements de la communauté scientifique et les promesses des uns et des autres.
Cette ambition climatique européenne est louable, mais elle la place devant au moins deux problèmes : celui d’abord de son coût, qui sera de plus en plus lourd, dès lors que les mesures à coût d’abattement moindre sont les premières à être mises en oeuvre ; celui ensuite de la préservation de sa compétitivité face à des rivaux commerciaux moins empressés qu’elle (dans la réalité des faits) à se mettre au diapason de la neutralité climatique. L’UE a su faire preuve d’audace en mettant en place depuis octobre 2023 un mécanisme d’ajustement carbone aux frontière (MACF), dont l’effet est de renchérir les produits de base importés à fort contenu en carbone. Mais il est douteux que cela suffise.
L’UE va t-elle se nanifier économiquement sur l’autel du climat ? La question est provocante. Ce que je veux souligner simplement ici, c’est que cet effort sans doute colossal que l’UE s’apprête à faire n’aura pas de sens si elle le consent seul (le climat est un bien public mondial), ou si elle renonce à se protéger contre le moins-disant carbone de ses concurrents.
g) Immigration
Près de 10% la population de l’Union européenne n’est pas née sur son sol et a choisi de la rejoindre, le plus souvent pour échapper à la pauvreté, à la guerre ou à diverses formes de persécution. Demain, il est probable que de nouveaux migrants viendront y chercher un havre face aux impacts du changement climatique.
Une certaine immigration n’est pas choquante dans un continent que menace l’implosion démographique et pour autant qu’il puisse intégrer, avant d’assimiler, ces populations. L’UE s’honore aussi en accueillant hommes, femmes et enfants qui cherchent un asile (les réfugiés représentent un peu moins de 2% de la population totale de l’UE).
La vraie question, c’est celle de l’impact de flux migratoires de plus en plus importants (en 2022, près de 3,4 millions de premiers titres de séjour ont été délivrés, soit un doublement par rapport à 2013, et près de 960 000 demandes d’asile ont été formulées, sans compter les clandestins20) sur la capacité des européens à accueillir, éduquer, loger, etc. ces nouveaux arrivants et la volonté de ces derniers de s’intégrer. J’ai traité ce sujet dans un autre article, mais c’est sur ce dernier point en particulier que le bât blesse, la propagation d’une idéologie islamiste radicale au sein d’une population issue de l’immigration provenant de façon croissante de pays majoritairement musulmans agissant comme une entrave au processus d’intégration.
Sans verser dans le pessimisme de l’essayiste britannique Douglas Murray, qui y décèle une forme de suicide de l’Europe21, il est temps d’ouvrir les yeux, d’avoir un vrai débat démocratique sur le sujet (traité le plus souvent en catimini par des technocrates) et de colmater la passoire européenne.
h) Trop de normes et de bureaucratie ?
Selon la fondation iFRAP, un think tank, la France serait « malade de l’inflation normative« 22. Il n’y aucun doute que la tendance à produire des normes, toujours plus de normes, est un tropisme de l’administration française. Dans quelle mesure, ce penchant est-il accentué par la construction européenne ?
C’est le secteur de l’agriculture qui s’en émeut dernièrement en France avec le plus de vigueur. Certains ont même parlé de surtransposition par la France des normes européennes, mais « en matière agricole, en France, on ne peut pas parler de surtransposition des normes européennes », selon le Professeur Benoît Grimonprez23.
Je me bornerai à botter en touche, n’ayant pas assez d’information probante sur le sujet.
L’UE est souvent aussi accusée d’être bureaucratique, en dépit du paradoxe d’avoir une administration plutôt légère en termes d’effectifs (32 000 pour la Commission, soit moins que l’effectif de…la seule Ville de Paris. Sans doute plus de 50 000 au total, soit 1% environ de la fonction publique française totale) et d’avoir un budget relativement modeste (cf. supra). La critique semble viser plus précisément les modes de gestion et conditions attachées à l’utilisation des fonds européens, puisque précisément la Commission, faute d’administration de terrain, est obligée de faire transiter ses fonds par d’autres canaux, notamment les Etats-membres et autres organisations accréditées (80% du budget).
i) Déficit démocratique ?
C’est une des critiques les plus entendues au sujet de l’Union européenne et de ses institutions, et un vieil argument du répertoire euro-sceptique.
Il correspond néanmoins à une certaine réalité. Selon le dernier Eurobaromètre24, un sondage réalisé deux fois par an dans l’UE, la confiance dans l’Union européenne reste faible en France : seuls 35% des répondants ont confiance dans l’UE (contre 55% qui n’ont pas confiance), soit un niveau bien en deçà de la moyenne européenne (47%). Et surtout son fonctionnement démocratique est mis en cause par une majorité de répondants (47% se disent insatisfaits du fonctionnement de la démocratie au sein de l’UE). Et seul un tiers des répondants (34%) pense que leur voix compte dans l’UE, contre 43% pour l’ensemble des citoyens de l’UE.
On peut imaginer que ces résultats seraient encore plus négatifs dans un sondage qui ne serait pas mandaté par l’UE (la tournure de la question oriente souvent la réponse…). Mais le fait est là : il y a une perception de déficit démocratique de l’Union européenne.
Dans toute perception, il y a deux aspects : un manque d’information ou de compréhension, et une part de réalité, et tout un spectre de nuances intermédiaires. Le premier est plus facile à corriger que la seconde.
L’Europe a pourtant fait des progrès : le Parlement est élu au suffrage universel depuis 1979, et son rôle a été accru. Mais peut-on se plaindre d’un déficit démocratique si l’on boude soi-même les urnes ? En 2019, aux élections de 2019 le taux d’abstention s’est élevé en France à près de 50%. Ce qui sans doute accrédite la thèse du déficit, c’est la complexité, l’illisibilité peut-être du processus décisionnel communautaire, l’impression de perte de souveraineté liée à la primauté du droit européen ou à la monnaie unique (ce qu’elles représentent en effet, mais ce n’est pas la question), le caractère abstrait de l’Union européenne qui n’a pas de guichets ou de bureaux à l’échelon territorial, créant une impression de distance (mais là encore, ce n’est pas la question), le fait que l’élection et les listes restent strictement organisées sur une base nationale (ce qui encourage le vote-défouloir évoqué plus haut), etc.
Sans être expert, il me semble que ces quelques réformes mériteraient d’être explorées : i) donner au Parlement le droit d’initiative législative ; ii) faire en sorte que lorsque le Conseil (des ministres) statue en tant que co-législateur, le vote se fasse par principe à majorité qualifiée (il fonctionnerait ainsi comme une chambre haute, tel le Sénat en France) ; iii) que le Président (ou Président) de la Commission soit le chef ou le candidat du parti ou de la coalition majoritaire au Parlement (comme en régime parlementaire) et non comme actuellement un nom issu de tractations obscures entre les grands Etats25 ; iv) permettre de voter pour des listes transnationales.
C’est poser la question de l’organisation institutionnelle de l’UE, organisation à l’architecture complexe, hybride, bâtarde même.
Mais poser la question de l’organisation, c’est interroger le projet même, l’ambition que se fixe l’Union européenne. C’est se demander si le rêve de Jean Monnet est une chimère dangereuse de fédéraliste d’un autre âge, ou s’il faut remettre en marche le train vers une union toujours plus étroite.
En guise de conclusion
Il est sans doute temps de ré-interroger sur ce que l’on attend de l’Union européenne, comme il serait opportun dans le cadre national de se ré-interroger sur le rôle de l’Etat. La passivité en la matière devient la complice d’une extension perpétuelle du domaine d’action de l’une comme de l’autre.
L’élection européenne de juin 2024 est donc importante. Les Français feraient bien de s’y intéresser, de se mobiliser le jour venu, et, si l’on peut rêver un instant, de préférer les candidats qui tiennent sur l’Europe un discours autre que de dénigrement ou de démagogie.
Notes :
- Rapide synthèse : ici. ↩︎
- Source : son (excellent) site Diploweb.com. A noter que l’article 17 du TUE (rédaction datant du traité de Nice) dispose que la PESC « inclut l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire à une défense commune, si le Conseil européen en décide ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux États membres d’adopter une décision dans ce sens conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives » et « La politique de l’Union (en ce domaine) n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre« . ↩︎
- Résumé du débat précédant le vote : ici. ↩︎
- Plus d’information : ici. ↩︎
- Je n’entre pas dans le détail de ce à quoi pourrait ressembler une défense européenne propre. Sujet peut-être d’un futur article. ↩︎
- Dans son manuel : Relations internationales. 2021. ↩︎
- cf. Note 31. ↩︎
- Source : Eurostat. ↩︎
- Le Fonds européen de développement régional (FEDER), le plus important des trois, est alloué aux régions (au niveau NUTS 2) sur la base de leur PIB par habitant et d’autres indicateurs tels que le taux de chômage. Les régions les moins développées (définies comme celles dont le PIB par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne de l’UE) reçoivent le montant le plus élevé ; les régions en transition (dont le PIB par habitant se situe entre 75 % et 90 %de la moyenne) reçoivent un montant moindre ; et les régions les plus développées – les autres – reçoivent le montant le plus faible. ↩︎
- Les pays dont le revenu national brut par habitant est inférieur à 90% de la moyenne de l’UE. ↩︎
- Cf. cet article publié dans Interconomics. ↩︎
- Source : OCDE. ↩︎
- Cf. note 40. ↩︎
- En 2020, l’UE comptait 9,1 millions d’exploitations agricoles. L’écrasante majorité (94,8 % en 2020) de ces exploitations sont considérées comme des exploitations familiales, c’est-à-dire des exploitations dans lesquelles 50 % ou plus de la main-d’œuvre agricole régulière est fournie par des membres de la famille. Près des deux tiers des exploitations avaient une superficie inférieure à 5 hectares (ha) en 2020. À l’autre extrémité de l’échelle de production, 7,5 % des exploitations avaient une superficie de 50 hectares ou plus et exploitaient les deux tiers (68,2 %) de la superficie agricole utilisée (SAU) de l’UE. Ainsi, bien que la taille moyenne d’une exploitation soit de 17,4 hectares en 2020, on estime que 18 % seulement des exploitations ont cette taille ou une taille supérieure. Sur les 9,1 millions d’exploitations, 3,3 millions ont une production standard inférieure à 2 000 EUR par an et ne représentent que 1 % de la production économique agricole totale de l’UE. Ces très petites exploitations se situent à l’extrémité (semi-subsistance) de l’échelle agricole ; environ deux tiers de ces exploitations ont consommé plus de la moitié de leur production en 2016. En outre, 2,5 millions d’exploitations avaient une production économique comprise entre 2 000 et 8 000 EUR par an. Ensemble, ces très petites et petites exploitations représentaient les deux tiers (63,7 %) de toutes les exploitations agricoles en 2020. En revanche, 299 000 exploitations (3,3 % du total) produisaient chacune une production standard de 250 000 EUR par an ou plus en 2020 et étaient responsables de la majorité (56,4 %) de la production économique agricole totale de l’UE. La France (27,4 millions d’hectares) et l’Espagne (23,9 millions d’hectares) disposent des plus grandes surfaces agricoles utilisées de l’UE en 2020, soit respectivement 17,4 % et 15,2 % du total. Le nombre d’exploitations dans l’UE a diminué d’environ 37 % au cours de la période comprise entre 2005 et 2020. Cela correspond à la perte de 5,3 millions d’exploitations, dont la grande majorité (environ 87 %) étaient de petites exploitations d’une taille inférieure à 5 ha, mais la superficie des terres utilisées pour la production agricole est restée globalement inchangée (+0,3 %) entre 2005 et 2020. Source : Eurostat. ↩︎
- Concept qui reste à définir plus rigoureurement, et ne se confond pas avec l’auto-suffisance. ↩︎
- Les dépenses se répartissent entre deux piliers correspondant respectivement au Fonds européen agricole de garantie (FEAGA, aides directes, 75% du total) et au Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER, 25% du total). En France, la mise en œuvre du FEAGA est de la compétence de l’État. La mise en œuvre du FEADER pour la programmation 2023-2027 est partagée entre l’État et les Régions. ↩︎
- Source : article de Scown, Brady et Nicholas dans ScienceDirect, ici. ↩︎
- Comment ne pas pointer ici une certaine contradiction au sein de nos société occidentales qui veulent d’un côté une plus grande souveraineté alimentaire, une meilleure qualité sanitaire et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et de l’autre veulent maintenir des prix alimentaires aussi bas que possible ? Comme le remarquait un agriculteur : « Le risque d’ici quelques années c’est d’avoir deux consommateurs francais. Le premier aura les moyens de s’acheter des produits français haut de gamme, le second sera condamné à ne consommer que des produits importés puisque la France n’en produira plus ». Cité dans Les Échos. ↩︎
- Revendications de la FNSEA (janvier 2024), ici. ↩︎
- Source : Commission européenne. ↩︎
- L’étrange suicide de l’Europe. 2018. ↩︎
- iFrap. ↩︎
- Source : publicsenat.fr. ↩︎
- Source : ici. ↩︎
- Madame Van der Leyen commence à se faire un nom, mais elle était totalement obscure et un personnage politique relativement mineur (et même peu populaire en Allemagne) lors qu’elle fut proposée en 2019 (par Emmanuel Macron). Elle avait l’avantage, entre autres, d’être une femme, une Allemande, et francophone. ↩︎
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