Déficits publics : l’overdose

La dépense et le déficit publics sont la drogue dure des gouvernements français.

Avec l’actuel, on atteint l’overdose.

L’explosion de la dette publique 

L’INSEE vient d’annoncer que le déficit des administrations publiques avait atteint en 2023 154 milliards d’euros, soit 5,5 % du produit intérieur brut (PIB) et plus que ce qui était prévu (4,9%)1. Ceci alors que le reste de la zone euro et de l’Union européenne converge vers un chiffre plus frugal de 3%2.

Cette nouvelle suit de peu la révision à la baisse de l’hypothèse de croissance du PIB qui sous-tendait le budget 2024 (1% au lieu de 1,4%). Une moindre croissance du PIB signifie mécaniquement une baisse des recettes fiscales, notamment de TVA.

Le pouvoir actuel fait penser à un Gang des Amateurs, et pour emprunter à une tirade célèbre due à Michel Audiard, « c’est même à cela qu’on les reconnaît ». On pense à l’éducation, à la santé, au nucléaire, à l’immigration, à la politique étrangère.

Ce n’est certes pas d’hier que les gouvernements s’accommodent de budgets en déficit. Mais la France sous Macron explose tous les records. La dette publique totale3 a dépassé les 3 100 milliards d’euros fin 2023, soit plus de 110% du PIB contre 96% en 2016. Et ceci alors que nos partenaires de la zone euro réduisaient le poids de la leur de 100% à 90% du PIB depuis début 2021. A ce rythme, la France est en passe de rattraper la Grèce et l’Italie, qui dans le même temps ont baissé ce ratio de 44 (de 209 à 165%) et 20 points (de 160 à 140%) respectivement (figures 1 et 2).4

Figure 1 : Dette publique en % du PIB dans l’union européenne (3e trim. 2023). Source : Eurostat
Figure 2 : Dette publique en % du PIB dans l’union européenne (1er trim. 2021). Source : Eurostat

La dette française a augmenté de plus de 800 milliards depuis la première élection de M. Macron en 2017, soit plus de 100 milliards de dette nouvelle par an ! Or, la dette d’aujourd’hui ce sont les impôts de demain. C’est aussi se mettre à la merci des marchés financiers, dont la confiance peut un jour se retourner.

A croire que la longévité d’un Ministre des finances aujourd’hui est directement proportionnelle à l’augmentation de la dette publique. L’actuel est décidément plus doué aux lettres qu’aux chiffres.

Cette envolée de la dette est la conséquence fatale d’un Etat (au sens large des administrations publiques) qui dépense toujours plus et trop (la France détient le record du monde de la dépense publique avec un peu plus de 57% du PIB en 2023). Et même avec les impôts les plus lourds au monde, ne parvient pas à équilibrer son budget.

Si encore cela finançait les meilleurs services publics du monde et des investissements d’avenir. Las, il n’en est rien ! Comme chaque Français en fait l’expérience, l’éducation, la santé, la sécurité, les chemins de fer, sont en capilotade. On nous dit que notre armée serait incapable de tenir longtemps dans un conflit à haute intensité comme celui qui fait rage en Ukraine5.

L’inefficacité et l’inefficience sont partout ; les agences publiques prolifèrent comme champignons après la pluie ; le millefeuille territorial perdure ; la bureaucratie et les « cerfa » étouffent tout comme un lierre envahissant ; et le gouvernement ne semble capable de régler un problème qu’en signant de nouveaux chèques…sans provision. C’est la République des « allocs » et des cadeaux, mais aussi de la folie fiscale.

Il est temps d’arrêter cette fuite en avant, où l’incompétence et l’irresponsabilité se disputent la palme à ce jeu de qui perd gagne. Avant qu’elle ne débouche sur une crise majeure de la dette.

Comment réduire la dépense publique ?

Il faut agir sur les deux termes du ratio, la dépense, au numérateur, et le PIB, au dénominateur.

Il faut réduire les dépenses et stimuler la croissance.

La première action ne sera pas facile car on peut discerner au moins 4 facteurs prévisibles … d’augmentation de la dépense publique : i) la nécessité de réarmer la France face aux menaces internationales et notamment sur le continent européen (passer notre budget militaire d’environ 2% du PIB à 3% voire peut-être plus) ; ii) la nécessité de passer la vitesse supérieure pour la transition énergétique et écologique ; iii) la nécessité de renforcer la sécurité intérieure (police, justice, prisons) ; et iv) la nécessité de faire face au vieillissement de la population, qui va alourdir la facture de protection sociale (vieillesse, santé, dépendance).

Le drame de la situation actuelle est que la France n’a plus de marges de manoeuvre : l’endettement est excessif et la fiscalité est excessive. Pendant longtemps, l’endettement était un moyen détourné de continuer à dépenser (sans compter) en évitant d’alourdir l’impôt. Même cet artifice nous est maintenant interdit.

Il faut donc réduire la dépense ailleurs. Mais où ? On entend déjà la clameur du « syndicat des rentiers de l’Etat », tous ceux qui d’une manière ou d’une autre profitent du système, et ont intérêt à ce qu’il perdure.

Or, nous connaissons déjà par de nombreux travaux6 les grandes directions qui devraient guider cet exercice de compression de la dépense publique, et l’expérience internationale nous confirme qu’un niveau moindre de dépense publique n’est pas synonyme de régression sociale. Que l’on regarde les Pays-Bas ou la Suisse par exemple, pays qui jouissent d’un degré élevé de protection sociale.    

Voici quelques pistes :

– réduire le « degré de socialisation »7 de certaines dépenses (santé, retraite, chômage, etc.), la puissance publique se cantonnant à prendre en charge ce que le privé ne pourrait couvrir sans créer trop de disparités (on songe aux retraites – la France a l’un des systèmes les plus généreux au monde8). 

améliorer l’efficience de certains services (rapport coût / efficacité) partout où en particulier la France se signale par un ratio défavorable par rapport à ses pairs ; 

revoir l’ambition (conditions, niveau et durée des prestations) de certains services (chômage, santé (ticket modérateur), etc.) ;

lutter contre la fraude sociale (fausses cartes Vitale, retraites indûment versées, etc.) ;

tailler dans le « millefeuille territorial », en supprimant les départements, création de la Révolution française (1790), qui n’ont plus d’objet dans le monde d’aujourd’hui, sauf peut-être dans les départements les plus ruraux9 ;

supprimer des dispositifs scandaleux (AME, etc.) et les agences publiques surnuméraires (cf. les rapports de la Cour des comptes) ;

soumettre à évaluation régulière les grandes politiques, et les administrations, et collectivités publiques10 ;

– enfin, et pour le symbole, réduire le budget de l’Elysée, réduire le nombre de députés, qui n’a pas besoin d’être supérieur à 400, et celui des sénateurs (200 maximum ou moins).

Cet effort, qui nécessitera de rogner ou remettre en cause certains intérêts et donc suscitera des résistances, sera facilité par une croissance économique (augmentation du PIB) plus vigoureuse. Par exemple, une croissance annuelle du PIB de 3% (en valeur réelle), accompagnée d’un maintien en valeur réelle des dépenses publiques (qui ne croîtraient donc qu’au rythme de l’inflation) se traduirait par une baisse rapide du ratio dépense sur PIB, et du déficit public. Si cette croissance est faible ou nulle, comme actuellement, l’exercice devient autrement plus difficile. 

Pour améliorer la croissance, il faut que les Français travaillent davantage (ils travaillent moins que leurs pairs des pays comparables en termes de nombre d’heures annuelle ouvrées) et que donc notamment toutes les désincitations au travail soient éliminées, et qu’une fiscalité écologique se substitue aux impôts de production qui subsistent.

Surtout, il faut que cette réduction de la dépense publique s’inscrive dans une démarche globale et pluriannuelle, idéalement précédée d’une vaste consultation des parties prenantes, et peut-être sanctionnée par un référendum qui atteste le consentement des Français à l’effort nécessaire, à sa direction et à sa répartition.

Et il faudra instituer une « règle d’or » constitutionnelle qui interdise le déficit pour les dépenses courantes11.

Plus profondément, il faut aussi aider nos concitoyens à se déprendre de leur penchant à souvent tout attendre de l’Etat et à voir en lui, selon le mot si fort de Frédéric Bastiat, le moyen par lequel « tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde »12.

A tous ceux qui qui haussent les épaules, rappelons que le surendettement est souvent l’indice d’un désordre plus profond, et parfois le signe précurseur d’un grand bouleversement politique et social. 

En 1789, la Révolution a balayé la monarchie, incapable de trouver une solution à une crise de dette publique13.


Notes :

  1. INSEE, 26 mars 2024. On m’objectera que l’Etat n’est que l’une des administrations publiques. Mais sur ces 154 milliards de déficit, l’Etat, dont notre Ministre a la responsabilité directe, représente la quasi totalité (-155,2), les Organismes divers d’administration centrale -1,6, les Administrations publiques locales -9,9, et les Administrations de sécurité sociale +12,9 (un excédent donc). ↩︎
  2. Eurostat. ↩︎
  3. Au sens de « Maastricht », c’est à dire de l’article 126 du Traité de Maastricht de 1992. La dette au sens de Maastricht, ou dette publique notifiée, couvre l’ensemble des administrations publiques au sens des comptes nationaux : l’État, les organismes divers d’administration centrale (ODAC), les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale. C’est une dette brute au sens où l’on ne soustrait pas aux éléments de passifs les actifs financiers des administrations publiques. Enfin, elle consolidée : sont donc exclus du calcul de la dette les éléments de dette d’une administration détenus par une autre administration.
    Le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, a défini cinq critères de convergence que les États membres doivent respecter pour passer à la monnaie unique, l’euro. Deux critères sont relatifs à la maîtrise des déficits publics: le déficit des finances publiques ne doit pas dépasser 3 % du PIB pour l’ensemble des Administrations publiques et la dette publique doit être limitée à 60 % maximum du PIB.
    La France ne respecte plus, et de loin, ces critères. ↩︎
  4. Eurostat. ↩︎
  5. Le Monde. ↩︎
  6. Par exemple pour la France, les travaux de France Stratégie, cf. Où réduire le poids de la dépense publique ? Christophe Gouardo et Fabrice Lenglart, janvier 2019, https://www.strategie.gouv.fr/publications/reduire-poids-de-depense-publique ↩︎
  7. L’expression est tirée de la note de Gouardo et Lenglart, op.cit. ↩︎
  8. Et pour les retraites, introduire une dose de capitalisation collective, dont la gestion pourrait être confiée au secteur privé ou mutualiste. ↩︎
  9. On dit que le découpage des départements a été fait de manière à ce qu’il soit possible de se rendre au chef-lieu du département à partir de n’importe quel endroit de celui-ci en moins d’une journée de cheval. ↩︎
  10. L’administration française est généralement rétive aux évaluations, qu’elle perçoit comme un risque. C’est aux politiques, sur qui pèse l’épée de Damoclès électorale, de s’assurer que leurs actions soient évaluables (ex ante) et évaluées (ex post). ↩︎
  11. Tout déficit n’est pas mauvais en soi. Il n’est pas illégitime de financer par l’emprunt les dépenses d’investissement, qu’il s’agisse d’investissements physiques ou en capital humain (éducation ; recherche).  ↩︎
  12. http://bastiat.org/fr/l_etat.html ↩︎
  13. Pourtant relativement modeste par rapport à l’actuelle, environ 80% du PIB selon Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_dette_publique_française ↩︎

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