
On entend souvent dire que seul l’Etat peut voter un budget un déficit alors que cela est proscrit aux collectivités locales.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Le budget de l’Etat 1 amalgame du côté dépenses dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissements. Côté recettes, toutes sont amalgamées également, sauf les emprunts. Si les recettes sont insuffisantes pour couvrir les dépenses, alors il y a déficit, que seul l’emprunt peut combler. A noter que la levée des emprunts nouveaux et l’amortissement (le remboursement en capital) de la dette de l’Etat sont hors budget, et confiés à un établissement public, l’Agence France Trésor.
Le budget des collectivités locale se compose, quant à lui, de deux sections, dont chacune doit être équilibrée en dépenses et en recettes : la section de fonctionnement et la section d’investissement.
La section de fonctionnement regroupe :
- toutes les dépenses nécessaires au fonctionnement de la collectivité (charges à caractère général, de personnel, de gestion courante, intérêts de la dette, dotations aux amortissements 2, provisions) ;
- toutes les recettes que la collectivité peut percevoir, et notamment de la fiscalité locale et des dotations de l’État.
La section d’investissement comporte :
- en dépenses : les dépenses d’équipement de la collectivité (travaux en cours, opérations pour le compte de tiers…) et le remboursement de la dette ;
- en recettes : les dotations et subventions de l’État, et les les emprunts éventuels. On y trouve aussi l’autofinancement (ou épargne brute), qui correspond au solde excédentaire de la section de fonctionnement 3. (figure 1)

Le point essentiel, c’est qu’une collectivité locale ne peut emprunter pour financer sa section de fonctionnement, c’est à dire combler un trou dans ses opérations courantes. C’est ici que réside la grande différence d’avec l’Etat, qui lui peut emprunter pour payer des fonctionnaires ou acheter des crayons, puisque cette différenciation des dépenses par section n’existe pas pour lui. Une collectivité locale ne peut emprunter que pour investir, c’est à dire préserver 4 ou ajouter à son patrimoine.
Cela veut dire que la dette publique locale peut augmenter – et du reste elle le fait – mais à la seule condition que cette dette nouvelle serve à financer des investissements nouveaux (ou subventions d’investissement à des tiers). En effet, le remboursement du capital des annuités d’emprunts à échoir dans l’année doit être couvert par la somme de l’épargne brute et des subventions d’investissement reçues (y compris dotations du fonds de compensation de la TVA). On ne peut pas emprunter à seule fin d’apurer sa dette.
C’est le sens de l’article L1612-4 du code général des collectivités territoriales, selon lequel le budget est voté en « équilibre réel » 5.
Ne permettre à l’Etat de s’endetter que pour des investissements nouveaux serait une révolution. Cela serait sans doute trop restrictif, car l’Etat n’est pas enfermé comme les collectivités territoriales dans une clause de compétence qui le confine à certaines fonctions 6. Il doit pouvoir faire face à des circonstances exceptionnelles, comme la guerre ou une catastrophe naturelle. Il est, dans le cadre d’un Etat-nation comme la France, l’entité de dernier recours. Mais cette faculté de recourir à l’emprunt en cas de circonstances exceptionnelles doit être encadrée.
Il est temps que les politiques responsables s’attellent à cette réforme, qui sans doute devrait faire l’objet d’une révision constitutionnelle qui la sanctuariserait.
Notes :
- Je néglige dans cet article le fait que le budget général retrace l’ensemble des recettes et dépenses de l’État, à l’exception des recettes qui sont affectées par la loi de finances à des dépenses particulières, auquel cas les recettes et dépenses concernées sont alors présentées dans des comptes spéciaux (du Trésor) ou des budgets annexes.
Les budgets annexes regroupent les dépenses et les recettes d’un service de l’État dont l’activité tend essentiellement à produire des biens ou à rendre des services donnant lieu à paiement (il n’y en a plus que deux: Contrôle et exploitation aériens (budget de la Direction générale de l’aviation civile) et Publications officielles et information administrative (budget de la direction de l’information légale et administrative)).
Les comptes spéciaux retracent des dépenses et des recettes de l’État entre lesquelles on veut établir un lien, soit que l’on veuille affecter certaines recettes à la couverture de certaines dépenses, soit que l’on veuille faire apparaître une sorte de bilan entre des opérations qui sont en étroite corrélation (compte de prêt par exemple). La gestion des pensions de retraite des fonctionnaires de l’Etat, par exemple, fait l’objet d’un compte spécial (sous-catégorie des comptes d’affectation spéciale (CAS)). ↩︎ - A noter que le champ des immobilisations qui doivent être amorties et des risques qui doivent être provisionnés est limité par les instructions budgétaires et comptables appliquées aux collectivités locales, notamment pour les communes. En sus de ces possibilités de dérogation aux principes comptables d’amortissement des immobilisations et de provisionnement des risques, les collectivités locales sont autorisées à inscrire dans les budgets et les comptes des « recettes d’ordre » égales aux dotations aux amortissements et provisions dont elles visent la « neutralisation budgétaire ». ↩︎
- Techniquement, l’autofinancement est le solde des produits et charges « réels » (excluant dotations aux amortissements et provisions et reprises correspondantes, qui ne correspondent pas à des flux monétaire, ou de caisse). ↩︎
- Les dépenses d’entretien et de réparation constituent des charges, donc inscrites à la section de fonctionnement. Les dépenses d’amélioration – celles qui ont pour effet, soit d’augmenter la valeur et/ou la durée de vie du bien immobilisé, soit, sans augmenter cette durée de vie, de permettre une diminution des coûts d’utilisation ou une production supérieure -constituent des immobilisations, inscrites à la section d’investissement. ↩︎
- « Le budget de la collectivité territoriale est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d’investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère, et lorsque le prélèvement sur les recettes de la section de fonctionnement au profit de la section d’investissement, ajouté aux recettes propres de cette section, à l’exclusion du produit des emprunts, et éventuellement aux dotations des comptes d’amortissements et de provisions, fournit des ressources suffisantes pour couvrir le remboursement en capital des annuités d’emprunt à échoir au cours de l’exercice ». ↩︎
- On notera au passage qu’il n’existe en France aucune norme suprême (constitutionnelle) qui définisse le rôle de l’Etat et fixe des limites à son intervention, si ce n’est de façon parcellaire au travers de certains principes constitutionnels (ou devenus tels par la jurisprudence du Conseil constitutionnel) garantissant par exemple, mais sous conditions, la liberté d’entreprendre (cf. par exemple cette décision) ou le droit de propriété (cf. par exemple cette décision). ↩︎
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