Les outrances de Trump : une ruse de la Raison ?

17 février 2025

Faut-il rejeter l’électrochoc que nous administrent les Etats-Unis en poussant des cris d’orfraie et en montant sur nos grands chevaux ?

Qu’il s’agisse de protectionnisme, d’immigration, de lutte contre le wokisme et l’abandon par l’Occident de ses valeurs traditionnelles (la démocratie, la liberté d’expression, et d’autres), Donald Trump et ses équipiers (notamment le vice-président Vance) ne font pas dans la dentelle. 

Trump au cours des dernières semaines a même évoqué une velléité d’annexion du Canada 1, du Groenland 2 et du canal de Panama 3 ! Et aujourd’hui, il prétend arrêter la guerre en Ukraine dans un dialogue à Munich 4 avec Poutine excluant l’Ukraine et l’Union européenne, rappelant la triste conférence de … Munich de 1938 qui conduisit à la destruction de la Tchécoslovaquie, et à la guerre mondiale. 

Et si toutes ces rodomontades, remontrances et outrances étaient pour l’Europe un tocsin nécessaire et salubre ? 

Depuis des années, l’Europe s’est engourdie, endormie, affaiblie, dans un processus que Michel Onfray qualifie d’ « autolyse » 5, c’est à dire d’autodestruction.

Son économie est languissante, écrasée de taxes et de normes.

Son grand marché est une vaste passoire dans laquelle s’engouffrent les Chinois, qui bénissent chaque jour les politiques absurdes des dirigeants européens (notamment le choix en matière automobile du tout électrique).

Sa sécurité reste dépendante des Etats-Unis, faute de dépenser suffisamment pour sa défense et, quand elle le fait, d’acheter européen (et notamment français).

Son peuple, son identité et sa civilisation sont menacés par une immigration massive imposée d’en haut, et une islamisation rampante.

Ses valeurs traditionnelles, et notamment son héritage judéo-chrétien, elle les occulte quand elle ne les renie pas, au nom d’une doxa fumeuse de la diversité et de l’inclusion, et d’un projet fédéral que les peuples rejettent. 

L’Europe est faible, et menacée de déclassement et d’insignifiance, et ce résultat est largement auto-infligé, le produit de nos aveuglements et de nos lâchetés, du manque cruel aussi d’hommes ou de femmes d’Etat européens capables de porter une vision à la hauteur des défis, et de tenir la barre avec fermeté dans la tempête.

En ce sens, et en dépit de la brutalité et de la vulgarité de la forme, ce début de Trumpisme Acte 2, s’il est odieux, n’est peut-être pas si scandaleux. « A blessing in disguise » comme dit l’expression anglaise, un bienfait déguisé.

Trump est peut-être l’agent d’une « ruse de la Raison », comme l’avait théorisée Hegel, ces forces historiques profondes qui agissent à notre insu et parfois contre ce que le moi conscient des hommes croit poursuivre 6.

La ruse, ce se serait de sonner le tocsin par le truchement des dires et faits, des actions et vociférations d’un homme, dont on peut penser de prime abord qu’il vise surtout à humilier, abaisser, et marginaliser l’Europe.

Puisse ce tocsin bruyant et parfois criard aider à sortir l’Europe de son sommeil, ou elle risque de sortir de l’Histoire. 

Notes:

  1. https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2025-01-08/propos-de-trump-sur-l-annexion-du-canada/imperialisme-ou-impulsivite.php ↩︎
  2. https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/groenland-l-union-europeenne-scrute-de-pres-les-menaces-d-annexion-de-donald-trump/ ↩︎
  3. https://www.slate.fr/monde/pourquoi-etats-unis-retrocession-canal-panama-histoire-traite-torrijos-carter-tensions-souverainete-controle-menace-reprendre-donald-trump ↩︎
  4. Conférence de Munich sur la sécurité, qui s’est tenue du 14 au 16 février 2025. Cf. https://www.lemonde.fr/international/article/2025/02/17/a-la-conference-de-munich-sur-la-securite-trois-jours-qui-ont-ebranle-le-monde_6550283_3210.html ↩︎
  5. Cf. Le très intéressant numéro n°19 de sa revue Front Populaire sur « Le choc des civilisations » (Décembre 2024 – Janvier – Février 2025). ↩︎
  6. « Ce n’est pas l’Idée qui s’expose au conflit, au combat et au danger ; elle se tient en arrière, hors de toute attaque et de tout dommage, et envoie au combat la passion pour s’y consumer. On peut appeler ruse de la raison le fait qu’elle laisse agir à sa place les passions ». Hegel. La Raison dans l’histoire. Dans l’Encyclopédie (paragraphe 209), Hegel explique : « On peut dire dans ce sens que la Providence divine, vis-à-vis du monde et de son processus, se comporte comme la ruse absolue. Dieu (NB: ce que Hegel appelle Dieu, c’est à dire la raison universelle) laisse faire les hommes avec leurs passions et intérêts particuliers, et ce qui se produit par là, c’est la réalisation de ses intentions, qui sont quelque chose d’autre que ce pour quoi s’employaient tout d’abord ceux dont il se sert en la circonstance. ». Pour les curieux, cf. ce texte du philosophe Pierre Macherey.

    Je ne peux pas résister à l’envie de citer la définition (plutôt réussie dans sa clarté et sa concision) de cette ruse de la Raison que donne Le Chat, l’App d’IA développée par la société française Mistral, et qui vient de sortir : « La « ruse de la raison » est un concept central dans la philosophie de Georg Wilhelm Friedrich Hegel. Il s’agit de l’idée selon laquelle l’histoire et les événements humains sont guidés par une rationalité sous-jacente, même si les individus impliqués ne sont pas conscients de cette rationalité ou ne l’ont pas intentionnellement planifiée. Selon Hegel, les actions humaines, souvent motivées par des passions, des intérêts personnels ou des conflits, finissent par servir un dessein plus grand et rationnel. Ce dessein est la réalisation progressive de la liberté et de la conscience de soi. Ainsi, même les actions égoïstes ou les événements chaotiques contribuent, à leur insu, à l’avancement de l’Esprit (ou « Geist » en allemand) dans l’histoire. En d’autres termes, la « ruse de la raison » est le mécanisme par lequel les fins de la raison universelle sont atteintes à travers les actions des individus, qui ne sont souvent préoccupés que par leurs propres intérêts. C’est une manière pour Hegel d’expliquer comment le progrès historique et la réalisation de la liberté peuvent émerger de l’interaction complexe et souvent conflictuelle des volontés individuelles. » ↩︎

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