
26 juin 2025
Tout le monde en convient, hormis la gauche radicale et de façon plus ambiguë le RN 1 : il faut réduire drastiquement le déficit public de la France, et cela passe surtout sinon exclusivement par une diminution radicale et durable de la dépense publique.
Rappelons que la France a la dépense publique la plus élevée parmi les pays avancés, à quelque 57% du produit intérieur brut (PIB) (figure 1).

Mais comment faire ?
Rappelons, en effet, que cela fait presque 50 ans que le Parlement vote un budget de l’Etat en déficit…
Mais l’Etat n’est pas seul en cause. Le déficit public dont il est question dans le débat public est le déficit dit de Maastricht, qui correspond au besoin de financement de l’ensemble des administrations publiques : Etat et autres administrations centrales, administrations locales et administrations de sécurité sociale. Ce déficit au sens large s’est élevé à près de 170 milliards d’euros en 2024, soit 5,8% du PIB. Il s’est creusé en gros depuis le début de la pandémie Covid en 2020, passant de quelque 3-4% du PIB à 8,9% en 2020 et oscillant autour de 5% depuis. 2
Pour le réduire, il faut réduire tous les déficits et donc les dépenses de ces trois catégories d’administrations publiques, qui atteignaient 1 670 milliards d’euros en 2024, dont près de 750 milliards de prestations sociales 3 (figures 2 et 3).


C’est l’Etat qui est le plus déficitaire, comptant pour plus de 90% du déficit Maastricht en 2024 (154 milliards). Ce sont donc ses dépenses qu’il faut d’abord comprimer. En réalité, les choses sont plus complexes du fait des liens entre ces trois niveaux d’administration.
L’Etat, notamment, effectue des transferts considérables en direction des administrations locales et de sécurité sociale. En 2024, l’Etat a transféré par exemple quelque 65 milliards d’euros aux collectivités locales (hors fiscalité transférée) dont des concours financiers (55 milliards) et des transferts divers (contreparties des dégrèvements d’impôts locaux, subventions spécifiques versées par les ministères, une partie des produits des amendes de police relatives à la circulation routière). Les transferts en direction des administrations de sécurité sociale (ASSO) sont plus difficiles à retracer. Au cours des dernières années, l’élément le plus remarquable dans l’évolution de la structure des recettes des ASSO est l’importance croissante de la part des impôts et taxes affectés (principalement la contribution sociale généralisée (CSG), 20 % des recettes), qui a pour corollaire une réduction de la part des cotisations employeurs (37% des recettes en 2022) 4.
Pour réduire les dépenses publiques, il faut abandonner la technique du rabot. Il faut repenser le rôle de la puissance publique (entendue comme l’ensemble des administrations publiques) et ses modes d’action.
On peut distinguer trois leviers : faire autant avec moins ; faire faire par d’autres ; ne plus faire (ou faire moins) 5.
1. Faire autant avec moins (efficience)
Le premier levier – le plus simple et le moins douloureux -, c’est d’améliorer l’efficience de l’Etat et autres collectivités publiques, c’est à dire faire autant et aussi bien avec moins de ressources. Des études, notamment de France Stratégie (qu’on ne peut accuser de néo-libéralisme militant) montrent qu’il existe « trois secteurs où des marges d’efficience existent : l’enseignement secondaire, la santé et, dans une moindre mesure, les retraites » 6. Ces études sont à actualiser et à affiner.
La France dispose d’une fonction publique (d’Etat, hospitalière et territoriale) dont les effectifs sont en proportion supérieurs à ceux de nos partenaires européens 7.
Une source de gain d’efficience potentiel est la rationalisation du mille-feuille territorial (Etat ; régions; départements ; métropoles ; EPCI; communes ; syndicats mixtes ; et SEM et agences de tout poil). Les activités du département, par exemple – échelon créé en 1790 – pourraient être redistribuées entre région (collèges), EPCI (routes) et un organisme social comme les CAF (RSA).
L’intelligence artificielle sous contrôle humain doit permettre aussi d’améliorer l’efficience publique 8.
2. Faire faire par d’autres (externalisation)
Le second levier, c’est l’externalisation de certaines activités à des opérateurs privés, qu’elle s’opère par la voie de la commande publique (y compris les marchés de partenariat 9) ou de la délégation de service public 10. C’est une solution appropriée pour des activités techniques, simples et/ou répétitives, comme l’entretien des parcs et jardins, l’enlèvement et traitement des déchets, la gestion de certains systèmes informatiques ; etc. En revanche, on ne peut l’envisager pour les tâches régaliennes, comme défense, police et justice (au moins pour ce qui est du coeur de leur mission).
Dans tous ces cas, la puissance publique garde le contrôle de l’activité, qu’elle peut toujours reprendre en « régie » (gestion directe). Il faut en effet s’assurer que cette externalisation n’est pas une mauvaise affaire pour la collectivité publique. Certains de ces montages ont fait l’objet de critiques nourries. Songeons aux concessions d’autoroutes, aux délégation de service public dans le domaine de l’eau, aux METP (marchés d’entreprise de travaux publics) naguère. Il est essentiel que la collectivité possède la capacité d’un vrai contrôle sur les entreprises privées en question, et que ces formes d’externalisation soient réversibles. La privatisation de services publics à l’anglaise a beaucoup perdu de son attrait depuis quelques décennies 11.
3. Ne plus faire ou faire moins (désengagement ou désocialisation)
Le troisième levier, le plus controversé politiquement, c’est le désengagement ou désocialisation, à tout le moins par le biais de la dépense publique (la réglementation est un levier d’action très puissant de la puissance publique).
On entend ici revoir le mode d’organisation d’un secteur qui a conduit à en confier la gestion, au moins partielle, à l’Etat ou un de ses pseudopodes, et à classer les dépenses et recettes correspondantes comme dépenses publiques. Et dans certains cas extrêmes, la discontinuation pure et simple de l’activité, comme dans le cas de certaines agences d’Etat.
Certains activités doivent être sanctuarisées, car elles se rattachent à la justification historique de l’Etat et il est de l’essence de la puissance publique d’en assumer directement la gestion : ce sont les missions régaliennes, en gros la sécurité intérieure et extérieure. Au delà, ça se discute.
Un élément qui complique l’analyse est la distinction entre financement et production. Deux exemples permettent de l’illustrer. Un vaste pan du domaine de la santé est confié à des acteur privés : médecins libéraux ou cliniques privées. Même chose, dans le domaine éducatif. L’enseignement privé sous contrat accueillait à la rentrée 2022 plus de 2 millions d’élèves, soit près de 18% des effectifs scolarisés, dans un peu plus de 7 500 établissements 12. Dans les deux cas, une large partie de leur financement provient des budgets publics (assurance-maladie pour l’un ; budget de l’Etat et des collectivités locales pour l’autre) mais une bonne partie de la production est le fait d’acteurs privés, d’ailleurs souvent moins coûteux que leur équivalent public 13. Ré-examiner la part de la production privée dans ces deux domaines ressortirait davantage à l’efficience (faire autant avec moins) puisque le volume d’activité ne serait pas réduit 14.
Un moyen de réduire significativement la dépense publique dans le domaine de la vieillesse – premier poste de dépenses publiques en France avec plus de 350 milliards d’euros 15– serait de laisser les citoyens organiser eux-mêmes leur retraite en réservant au régime public le versement de la pension minimum, d’augmenter la concurrence entre caisses de retraite, d’introduire un étage de capitalisation collective obligatoire 16 et de supprimer/réformer les régimes spéciaux, dont celui de l’Etat (qui n’est pas à strictement parler un régime de retraite), extrêmement dispendieux. En France, le degré de collectivisation est maximal puisque « l’essentiel de la dépense de retraite est publique (…), alors que pour la Suède et le royaume-uni, par exemple, les dépenses privées représentent respectivement 20 % et 45 % de la dépense totale en vieillesse » 17. Rien d’inéluctable à cela.
En clair, on pourrait réduire la dépense publique, sans rogner sur les droits, simplement en confiant à des caisses privées à but lucratif ou non, obligatoires mais librement choisies par l’assuré, et sous le contrôle de l’Etat, la gestion des systèmes de retraite. De publique, la dépense deviendrait privée, et sans doute, grâce aux gains d’efficience, serait-elle diminuée.
La suppression d’agences (de l’Etat surtout) inutiles ou redondantes est à l’ordre du jour. Selon une source, l’État gère un réseau complexe d’environ 792 agences représentant près de 156 milliards d’euros de dépenses en 2024, soit 5,3% du PIB, et employant des effectifs nombreux et en constante augmentation (10,4% de l’emploi public total et près de 23,2% de l’emploi public central en 2022) 18.
On a beaucoup parlé récemment d’un revenu universel, qui fusionnerait plusieurs prestations sociales accordées sous différentes conditions, et serait versé sous condition de ressources ou non, selon les différentes versions qui ont été proposées (à gauche : Manuel Valls et Benoît Hamon, ou libérale : Marc de Basquiat, entre autres). Cette réforme n’aurait de sens de notre point de vue que si cette simplification réduisait la dépense publique totale, en faisant de la pauvreté le critère principal d’attribution, et en veillant à ne pas émousser les incitations au travail.
Enfin, un gigantesque gisement d’économies se trouve dans la modulation de ce que France Stratégie appelle « le degré d’ambition assigné aux politiques publiques » 19. Par exemple, en matière de prestations sociales (assurance-chômage, aide au logement, prestations en nature de santé), il est possible de réduire le niveau de soutien public, de créer ou renforcer une condition de ressources, ou de créer ou augmenter un ticket modérateur non couvert par une mutuelle de santé. Dans tous ces cas de figure, il faudra veiller à ce que les plus démunis ne soient pas pénalisés.
Ces quelques pistes et exemples n’épuisent pas le sujet. On pourrait y ajouter la fraude sociale, dont les chiffres sont controversés. Ou l’AME 20 et les allocations logements versés aux étudiants étrangers, le tourisme médical,… la liste est longue des dépenses sur la légitimité desquelles on doit s’interroger lorsque les caisses sont vides.
La réduction impérative et urgente de la dépense publique devra se faire dans un contexte qui pousse à son augmentation dans quatre domaines : la défense (cf. la décision au sommet de l’OTAN de juin 2025 de porter à 5% la part des dépenses de défense dans le PIB d’ici 2025) ; la sécurité intérieure ; les dépenses induites par le vieillissement de la population (retraites ; santé ; dépendance) ; et la transition écologique (objectif de zéro émissions nettes d’ici en 2050).
Cela impliquera une réduction encore plus forte d’autres postes de dépense…
Pour conclure :
La France va devoir réduire drastiquement sa dépense publique pour éviter l’explosion de sa dette, et la perte de souveraineté qu’elle induirait ou…la surimposition demain.
La technique du rabot a fait long feu. Il faut désormais une réflexion globale, innovante, radicale sur le rôle et les modes d’action de la puissance publique.
A court terme, il y a des poches d’efficience qu’il faut systématiquement identifier et exploiter car elles permettent les réductions les moins douloureuses.
La France n’échappera pas cependant à un plus grand degré d’externalisation de ses activités publiques et un désengagement de certains domaines.
Ces mesures devront être planifiées et échelonnées dans la durée (5 ans ?) pour préparer les acteurs, et éviter des conséquences trop brutales.
L’ampleur de l’effort impliquera un contrat de confiance fort entre le peuple et ses dirigeants, qui ne paraît pouvoir être noué qu’à la faveur d’une alternance politique permettant l’émergence d’une majorité nette élue sur un projet clair et radical.
Tout ce qui permettra d’améliorer le taux de croissance (écologiquement soutenable) en facilitera la mise en oeuvre.
La France étant la France, et chacun étant à un titre ou un autre bénéficiaire de la dépense publique, n’escomptons pas que ces réformes se feront sans pleurs et sans cris 21.
En 1789, la monarchie croulant sous la dette accoucha de la Grande Révolution !
Notes :
- Cf. cet article. ↩︎
- Source : INSEE. ↩︎
- Les collectivités territoriales n’empruntent que pour financer des investissements nouveaux. Cela n’empêche que certaines collectivités ont pratiqué allègrement la gabegie. Une manière d’y remédier serait, entre autres, de réformer la fiscalité directe locale, pour que chacun paie l’impôt local (aujourd’hui seulement les propriétaires), et ce faisant puisse être impacté par la mauvaise gestion de certaines collectivités. J’ai proposé par ailleurs sur ce blog la création d’un impôt local sur le revenu à taux unique. ↩︎
- Source : Rapports d’évaluation des politiques de sécurité sociale (REPSS). Depuis les années 2000, une tendance similaire est observée dans la quasi-totalité des pays d’Europe : la part des cotisations employeurs diminue au profit des contributions publiques, pour limiter la hausse du coût du travail. ↩︎
- « La dépense publique est en effet et la résultante de trois facteurs : la décision, ou non, d’intervenir dans un champ donné, qui peut renvoyer à l’existence d’externalités mais aussi à des préférences collectives pour tel ou tel mode d’organisation de l’économie et de la société ; le degré d’ambition assigné aux politiques publiques, qui relève là encore de choix politiques et sociaux ; enfin l’efficience des dépenses, qui rapporte les volumes engagés aux résultats obtenus, la sélection ». Selon France Stratégie. Où réduire le poids de la dépense publique ? 2019. ↩︎
- Pourquoi les dépenses publiques sont-elles plus élevées dans certains pays ? France Stratégie. 2014. Cf. aussi cette note. ↩︎
- Selon l’IFRAP : « si la France avait le même nombre de fonctionnaire que la moyenne de notre échantillon européen hors France (UE 22+2), elle présenterait une population d’agents publics inférieure de 1,41 million par rapport à la situation actuelle. Mais (…) en réalisant un retraitement du différentiel de population en emploi (ce qui revient à tenir compte du taux d’activité), la France aurait des effectifs en baisse de 933.000 agents par rapport à la situation actuelle ». Source : IFRAP. ↩︎
- Cf. cet article. ↩︎
- Un marché de partenariat permet « de confier à un opérateur économique ou à un groupement d’opérateurs économiques (…) la construction, la transformation, la rénovation, le démantèlement ou la destruction d’ouvrages, d’équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public ou à l’exercice d’une mission d’intérêt général et tout ou partie de leur financement » (code de la commande publique : article L1112-1). ↩︎
- La délégation de service public est « un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service .» Source : loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 dite loi MURCEF, article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales. ↩︎
- Il est question que gouvernement britannique renationalise Thames Water. ↩︎
- Créé par la loi du 31 décembre 1959, dite loi Debré, le régime de l’enseignement privé sous contrat associe au service public de l’éducation des écoles et établissements privés passant avec l’État un contrat aux termes duquel ils prennent certains engagements, comme la conformité aux programmes définis par le ministère de l’éducation nationale et l’absence de discrimination dans l’accueil des élèves. À noter que l’enseignement privé sous contrat est marqué par la prépondérance de l’enseignement catholique (96 % des effectifs). ↩︎
- Le coût de scolarisation d’un élève dans l’enseignement privé est inférieur à celui du public. Source : IFRAP. ↩︎
- Le « chèque éducation » donné aux parents en serait une modalité : les parents décident du choix de l’établissement (agréé) où ils veulent placer leurs enfants. ↩︎
- La France est aussi le pays d’Europe dont la dépense de retraite représente la part la plus élevée dans le PIB, à plus de 14%, juste en dessous de l’Italie et de l’Autriche. ↩︎
- Cf. le rapport récent de la Fondation Concorde. ↩︎
- France Stratégie 2014, op.cit. ↩︎
- Source : IFRAP. La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a annoncé une réforme des opérateurs de l’État (hors éducation nationale et enseignement supérieur et recherche) ambitionnant de restructurer près de 1/3 d’entre eux, soit 145 opérateurs. Une ambition qui pourrait être mise en place rapidement en conjuguant moyens réglementaires ou législatifs. À la clé, la volonté de trouver autour de 2 à 3 milliards d’euros d’économies pérennes. ↩︎
- France Stratégie 2019, op.cit. ↩︎
- Aide médicale d’Etat, allouée aux immigrés en situation irrégulière. Son coût pour le budget de l’Etat dépasse le milliard d’euros. ↩︎
- Je ne me lasse pas de citer toujours cette phrase de Frédéric Bastiat : « L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». Source : ici. ↩︎
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