Lecture : « De parloir en parloir », par Jean-Marie Delafuys

« Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité mais la plus grande des trois, c’est la charité »

Saint-Paul, Première Epître aux Corinthiens 13,13

10 août 2025

La prison, quel que soit son confort, est un lieu atroce, car il signifie enfermement, privation de liberté, solitude. La liberté est comme l’air, ce n’est que lorsqu’on vous l’enlève que l’on réalise qu’on l’avait ; comme avec l’air, on étouffe lorsqu’on en est privés.

Les prisons françaises sont aujourd’hui surpeuplées 1 ; on manque cruellement de places de prison, même avec une justice pénale complaisante par idéologie, qui en tire un nouvel argument – quand elle n’en reçoit pas la consigne expresse de sa hiérarchie 2 – pour relâcher les délinquants.

La prison est lieu de punition, mais dans la conception française que rappelle Michel Foucault dans Surveiller et punir (1975), et qui émerge avec la Révolution française et le premier Code pénal (1791) 3, elle se voulait aussi lieu d’amendement du condamné. Qu’elle atteigne ou non ce dernier objectif, le détenu reste un être humain, qui ne peut être privé de l’espoir et de la perspective du rachat, ni de ce que le coeur humain peut offrir à son prochain en situation de détresse.

Dans ce livre, le Choletais Jean-Marie Delafuys, raconte son expérience de visiteur de prison, démarrée en 2006, lorsque sa retraite lui en laissa le loisir, et achevée en 2024, parce que, écrit-il, « le comportement des détenus s’est fortement dégradé ». L’auteur, sans doute par pudeur et parce que le propos de son livre n’est pas politique, en livre l’une des clés dans une annexe comportant le témoignage de surveillants pénitentiaires chevronnés, qui souligne l’augmentation de la population carcérale issue de l’immigration, et le poids de l’Islam, désormais religion dominante dans les lieux de détention. « De ce côté là, il y a grand danger, très grand danger. »

Jean-Marie Delafuys découvrit ce qu’il décrit comme une « vocation, voire comme un sacerdoce » lorsqu’adolescent, en 1962, il assista à une conférence de l’abbé Jean Popot, qui avait été aumônier des prisons de Fresnes (de 1946 à 1961 4), sans doute l’un des établissements pénitentiaires les plus connus de notre pays 5.

Nul doute que sa foi catholique eut une part dans sa motivation, mais il ne s’étend pas sur le sujet. On peut avoir du coeur sans s’approcher d’un bénitier, et ceux qui en sont le plus près n’ont pas toujours du coeur 6.

A Georges, Ali, Jeff, Jean-Paul, Karim, Haround le Mahorais, etc. il apportera le réconfort, et d’abord celui de la parole. Rien de plus horrible et débilitant que le silence, l’absence de communication. Mais notre auteur découvre bien vite que son engagement – et le coeur qui le soutient et le propulse – l’entraîne bien au delà des visites hebdomadaires au parloir de la prison : louer un garage, écrire des lettres, etc, etc.

Sans jamais le leur demander de prime abord, les échanges qu’il a avec les détenus (en général une visite hebdomadaire) lèvent parfois le voile sur la raison de leur incarcération. Très souvent, c’est une enfance difficile, traumatique. Des parents qui boivent, battent leurs enfants, les abandonnent. Familles sans père. Alcoolisme. Souvent, aussi, le manque d’éducation, qui complique ensuite la réinsertion. Il ne s’agit pas d’exonérer ces femmes et ces hommes (seuls des hommes apparaissent dans cette galerie de portraits) de leur responsabilité propre, simplement de ne pas oublier que certaines circonstances familiales et sociales peuvent vous faire dérailler sur le chemin de la vie, et que souvent elles s’enchaînent, dans une spirale de la chute qu’il est bien difficile – souvent aux caractère faibles, comme Jeff – d’arrêter.

L’auteur se garde de porter un jugement sur la politique pénale et pénitentiaire de notre pays, hormis la dénonciation de la surpopulation carcérale et le laxisme récent (trafic de stupéfiants et de téléphones portables, par exemple), qui ne permet plus d’assurer à chaque détenu les conditions de vie décentes qui sont dues à tout être humain, même condamné. Clairement, la prison n’est pas le lieu de réhabilitation que ses concepteurs lui assignaient. Parfois, la prison est même un bouillon de culture, transformant en vrais criminels ce qui n’était que graine de délinquant. On a beaucoup parlé des prisons comme des lieux de diffusion de l’islamisme 7.

Ce qui me touche dans ce livre, c’est la fidélité de l’auteur à son engagement de « donner de l’espérance », qui, pourtant, parfois, lui en fait voir de toutes les couleurs, et la confiance inaltérable dans l’humanité de l’homme déchu qu’il exprime : « dans chaque homme ne reste-t-il pas une petite lueur de bonté ? », écrit-il.

Qu’il y ait des visiteurs de prison, dans notre monde individualiste et égoïste, cela aussi frappe et remplit d’admiration.

En refermant ce livre, on a envie de s’incliner devant cet humble de l’ombre, cet artisan de miséricorde dont l’oeuvre de charité fut pendant 18 ans de ranimer et cultiver la flamme de l’espérance dans le coeur de ceux qui risquaient de la voir s’éteindre.

Notes :

  1. 85 000 détenus au 1er juillet 2025, et un taux d’occupation de 136%. La population carcérale a augmenté de moitié en 20 ans. Source. La situation pénitentiaire actuelle s’explique, entre autres, par l’augmentation très importante de la population détenue en attente de jugement et/ou condamnée à de courtes peines.  ↩︎
  2. On m’a signalé, ce que je n’ai pu vérifier, que le Ministère de la Justice avait adressé (naguère ?) des consignes aux magistrats leur recommandant de s’abstenir de prononcer des peines de prison lorsque c’était possible. ↩︎
  3. Historique commode ici, et ici. ↩︎
  4. On peut écouter son témoignage sur son expérience dans une émission radio de 1963, disponible sur le site de France Culture. ↩︎
  5. Robert Brasillach, condamné à mort pour faits de collaboration avec l’occupant nazi, y séjourna. Ne se faisant aucune illusion sur le résultat des recours déposés par son avocat ou de la demande en grâce signée par les plus grands écrivains français et adressée au général De Gaulle, il attendait son exécution dans sa cellule. Il y écrivit sans stylo ni papier ses émouvants Poèmes de Fresnes. Il avait réussi à se procurer une plume qu’il cachait dans une pipe et du papier qu’il arrachait d’un carnet. C’est par son avocat que ces poèmes sont sortis de Fresnes. ↩︎
  6. Dans son pamphlet féroce, Exégèse des lieux communs (1902), Léon Bloy (dont la moustache rappelle celle de Jean-Marie Delafuys) reproche à de nombreux chrétiens de se contenter d’une pratique religieuse formelle, sans que cela ne se traduise par des actes concrets de charité et de justice. Il cite souvent l’Évangile pour rappeler que la foi sans les œuvres est morte (Jacques 2:17). Il critique sévèrement ceux qui affichent une piété ostentatoire tout en menant une vie privée marquée par l’égoïsme et l’indifférence envers les souffrances d’autrui. Il les accuse de se servir de la religion comme d’un masque pour cacher leur véritable nature. ↩︎
  7. Cf. l’ouvrage collectif dirigé par l’universitaire Bernard Rougier, Les territoires conquis de l’islamisme. Cet entretien dans Marianne offre un bon résumé de ce livre et de sa démarche. ↩︎

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