Mountbatten à Ceylan

25 octobre 2025

Louis Mountbatten, né Prince Louis de Battenberg au chateau de Windsor en 1900 1, et mort assassiné par l’IRA en 1979 2, aura connu toutes les gloires et tous les honneurs 3 qui peuvent combler un homme au cours d’une vie bien remplie 4.

Je m’intéresse à ce personnage depuis mon premier voyage au Pakistan en 2024, et la lecture de l’ouvrage passionnant de Dominique Lapierre et Larry Collins, Cette nuit la liberté (1975), sur le processus qui conduisit à l’indépendance et à la partition (dramatique) de l’Inde en 1947, ainsi qu’à l’assassinat de Gandhi en 1948. A la fin de 1946, en effet, Mountbatten est prié par le Premier ministre britannique, le travailliste Clement Atlee, d’accepter les fonctions de vice-roi des Indes pour gérer le désengagement du Raj 5 de la Grande-Bretagne, que la guerre, toute victorieuse qu’elle ait été, a laissée exsangue, et incapable de maintenir un tel empire – le plus vaste que l’histoire ait connu (cf. carte du Raj ci-dessous).

Carte du Raj britannique en 1909.

Selon l’écrivain Olivier Frébourg : « S’il y a une épopée hollywoodienne en technicolor dans la famille royale britannique, c’est bien celle de Mountbatten, ce grand cinéphile, beau comme un héros américain. En paix ou en guerre, le monde lui souriait. La vie, pour lui, ancien chef des opérations combinées, était une action commando : une conquête fulgurante de la gloire, des femmes, des honneurs. Il aimait prendre des décisions rapides, avait une haute idée de lui-même, n’était pas rongé par le doute et affichait ce sourire qui charmait tous ceux qui l’approchaient » 6

C’est à l’occasion d’un récent voyage au Sri Lanka (octobre 2025) que mon attention s’est portée sur la connexion de Mountbatten avec ce pays.

Avant de devenir vice-roi des Indes en janvier 1947, Mountbatten a exercé, en effet, les fonctions de commandant suprême des forces alliées en Asie du Sud-Est (South Est Asia Command, SEAC) de novembre 1943 jusqu’en mai 1946.

Mountbatten pendant la Seconde Guerre Mondiale

La première zone d’opérations pour les forces terrestres du SEAC englobait l’Inde, la Birmanie (Myanmar), Ceylan (Sri Lanka), la Malaisie, Sumatra et la Thaïlande. Le 15 août 1945, Ie reste des Indes néerlandaises et l’Indochine française y sont intégrées.

Mountbatten a dirigé les opérations militaires contre les Japonais en Birmanie et dans toute la région, jouant un rôle clé dans la reconquête de la Birmanie en 1944-1945. Son commandement a permis de coordonner les efforts des Alliés, notamment avec les Chinois, et de préparer la libération de la Malaisie et de Singapour (septembre 1945).

Carte des territoires couverts par les deux commandements, SEAC et Commandement en Chef Inde, avec leur délimitation et l’ordre de bataille du SEAC au 6 décembre 1943.

Or, le 15 avril 1944 Mountbatten transfère son quartier général de New Delhi en Inde à Kandy, dans la région centrale et montagneuse de l’île de Ceylan, sous contrôle britannique depuis 1796. Il s’agit d’une mesure de précaution face à la menace d’une vaste offensive aérienne japonaise.

Le quartier général du SEAC est installé dans les bâtiments du jardin botanique royal de Peradeniya, aux abords de Kandy. Rien aujourd’hui n’y évoque ce rôle militaire durant la Seconde Guerre Mondiale.

Le jardin botanique de Peradeniya est l’un des plus beaux et des plus vastes d’Asie. Fondé officiellement en 1843, il a une histoire qui remonte au XIVe siècle. Je m’y promène longuement, intimidé par ces arbres immenses, charmé par les allées-venues de macaques dits à toques débonnaires, et presqu’épouvanté par les colonies de chauve-souris au repos qui peuplent sur plusieurs dizaines de mètres la canopée du jardin (cf. photos).

Vues du jardin botanique de Peradenyia à proximité de Kandy (photos de l’auteur)

Comme résidence, Mountbatten avait choisi un bungalow, situé à environ 15 minutes de Kandy, à Heerassagala, dans les hauteurs. Il s’y rendait régulièrement (également à cheval, selon une source) depuis Peradeniya, où se trouvait son bureau principal. Le bungalow était utilisé comme une maison sûre et un lieu de repos, mais les sources ne donnent pas de date précise pour son installation, si ce n’est qu’il y a séjourné entre 1943 et 1945.

Aujourd’hui, cette résidence a été transformée en un hôtel de luxe (Mountbatten Bungalow), pourvue d’une petite dizaine de chambres. Il s’agit d’une maison de plain-pied, blanche, assez simple mais élégante. Le concierge me laisse visiter la chambre de Louis et Edwina 7, au mobilier quasi inchangé, que son locataire d’un jour venait de quitter. En descendant le jardin manucuré, on atteint une piscine à débordement, qui a dû être ajoutée à la construction initiale. D’ici s’offre une vue magnifique sur les montagnes qui ceignent Kandy (cf. photos).

La résidence des Mountbatten dans les hauteurs de Kandy (photos de l’auteur)

Aujourd’hui l’oubli – et aussi la végétation dans ce pays luxuriant qu’est le Sri Lanka – a recouvert le souvenir, et nombre des traces, de cet épisode, certes bref. Aucune plaque ne le rappelle. Les jeunes locaux ne connaissent pas le fragment d’histoire dont ces sites furent les dépositaires ; ils ne connaissent même pas le nom de Mountbatten. C’est à peine si mes guides français les mentionnent – et encore seulement le Mountbatten Bungalow.

On n’a pas besoin d’en connaître l’histoire pour apprécier un site. Mais lorsque par hasard – comme dans mon cas – celle-ci se laisse apercevoir, et même dévoiler avec un peu de recherche, leur visite n’en est que plus émouvante, et notre imagination se plaît à reconstruire un passé à jamais englouti.

Notes :

  1. Son ascendance germanique, mal vue en plein milieu du premier conflit mondial qui opposait notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne impériale, contraignit sa famille à angliciser son nom en Mountbatten (Berg = mont ou montagne en allemand = Mount). ↩︎
  2. Il meurt le 27 août 1979, dans l’explosion de son bateau Shadow V (une bombe télécommandée de 23 kg avait été placée près du moteur de l’embarcation), dans la baie de Donegal, au nord-ouest de l’Irlande. ↩︎
  3. Immérités, voire usurpés, selon certains, qui mettent en cause sa compétence et même ses moeurs. Cf. par exemple ce documentaire. ↩︎
  4. Il sera fait comte Mountbatten de Birmanie et baron Romsay le 28 octobre 1947 par le roi Georges VI. ↩︎
  5. Ou Raj britannique (British raj), nom désignant à partir de 1858 (et la substitution du gouvernement de la Couronne britannique à celui de l’East India Company, à la suite de la révolte des cipayes (sepoy en anglais), mercenaires autochtones de l’armée britannique) les territoires sous contrôle britannique. Le Raj s’étendait sur presque toute l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh et le Myanmar actuels, à l’exception de quelques petites possessions d’autres nations européennes telles que Goa (Portugal) et Pondichéry (France). La reine Victoria fut couronnée Impératrice de l’Inde en 1876. ↩︎
  6. L’écrivain Olivier Frébourg dans Le Figaro du 30 juin 2014 ↩︎
  7. Edwina Cynthia Annette Ashley (1901-1960), qu’il épousa en juillet 2022. ↩︎

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