Retraites : une réforme indispensable, mais pas forcément celle du Gouvernement

Le nombre record des manifestants, les calicots, les banderoles, les slogans, les postures martiales de certains chefs de syndicats, tout ce folklore bien gaulois ne changera rien à cette réalité implacable : on n’échappera pas à une réforme du système des retraites.

Je ne suis pas un partisan du régime Macron, mais je pense qu’une réforme est inévitable, pour trois raisons :

Premièrement, le système actuel n’est pas tenable, sauf à laisser filer la dette publique —c’est-à-dire l’impôt de nos enfants et petits-enfants—, qui a déjà atteint le niveau alarmant que l’on sait.  La France a fait le choix à la Libération d’un système dit de « répartition », selon lequel les retraites des inactifs sont financées par les revenus des actifs. 

Comme l’avaient aperçu ses concepteurs[1], la chute de la fécondité (et aussi le ralentissement de la croissance) ne pouvait que miner la viabilité d’un tel système[2]. De fait, le nombre d’actifs pour un inactif est passé de 4 en 1956 à 1,7 aujourd’hui ! La France a les pensions et les durées de retraite parmi les plus généreuses du monde, parce que l’on part plus tôt et que l’on vit plus longtemps (en moyenne).  La France consacre 14% de son PIB aux retraites publiques, près de deux fois la moyenne OCDE

Dans un système de répartition, il n’y a que trois moyens d’équilibrer les comptes : en augmentant la durée de cotisation (c’est à dire en reculant l’âge de départ à la retraite), en augmentant les contributions, ou en diminuant le niveau des pensions, —ou un panachage des trois mesures. Trois solutions désagréables et pas reproductibles à l’infini. A la fin, on bute sur le mur de la démographie. Croit-on sérieusement qu’on va rétablir l’équilibre en dépouillant quelques milliardaires ? Il ne s’agit pas de la même échelle et c’est une arme à un coup.

En fait, il y a bien un autre moyen, c’est celui d’augmenter la durée du travail, c’est à dire augmenter les contributions mais sans relever le taux de cotisations. La France depuis longtemps a choisi cependant de travailler moins.

La durée annuelle moyenne de travail des salariés était en France de 1 490 heures en 2021, contre 1 920 il y a cinquante ans (-22%), et 1 716 heures en moyenne pour les pays de l’OCDE (-13%). Travailler plus, c’est une autre façon de contribuer à l’équilibre d’un système de répartition. Un pays a tout à fait le droit de privilégier le loisir par rapport au travail, et c’est bien ce que la France a fait, mais ce choix (les 35 heures, etc..) a eu des conséquences fâcheuses pour nos régimes de retraite . Mais de cela, la réforme ne parle pas.

Deuxièmement, le système français comporte des inéquités flagrantes, peut-être fondées à l’origine mais devenues aujourd’hui intolérables. Il ne s’agit pas de stigmatiser telle ou telle catégorie, ni de nier le niveau évidemment insuffisant des rémunérations de certaines catégories de fonctionnaires (les enseignant(e)s et infirmier(ère)s viennent d’abord à l’esprit), mais environ 6 millions de salariés ne sont pas tout à fait aussi égaux que les autres au regard de la retraite, et la réforme Macron qui se drape dans les plis de la justice sociale ne fait à peu près rien pour y remédier. Les fonctionnaires que leur statut met à l’abri du chômage sont mieux traités (base de calcul des pensions, taux de cotisation employeur, etc.)[3] que les salariés du privé et les indépendants. L’inégalité tourne à la caricature avec certains des régimes dits « spéciaux » (RATP, SNCF, etc., évidemment les plus virulents dans la protestation), que la réforme Macron supprime mais que pour …les nouveaux entrants (clause dite du « grand-père »). Et tout cela aux frais du contribuable qui supporte les surcoûts du régime des fonctionnaires de l’Etat et les déficits de ces régimes spéciaux[4].  Ce n’est pas le moindre paradoxe de la réforme Macron (version 2023) que motivée par le souci de sauver la répartition, elle a été conçue par la haute fonction publique d’Etat (Les Macron, Le Maire, et Borne en sont tous issus), qui se situe en dehors et la refuse pour elle-même !

Troisièmement, le taux d’emploi des seniors en France même s’il a augmenté ces dernières années reste encore bien inférieur à la moyenne des pays comparables[5]. C’est le résultat de pratiques de ‘dégraissage’ des entreprises, naguère facilitées par l’Etat (via l’assurance-chômage et les pré-retraites). Il faut inverser la tendance, encourager les seniors à continuer ou à reprendre le travail[6], et s’assurer que les entreprises jouent le jeu en les gardant, en aménageant leur temps de travail et en leur permettant d’assurer leur mission essentielle de transmission des savoirs.

Dire qu’une réforme est nécessaire ne veut pas dire cependant qu’on soutient CETTE réforme-là.

Celle-ci n’est pas l’infâmie qu’on nous dépeint du côté des syndicats et des partis aux deux extrémités du spectre politique. La réforme vise à l’équilibre du système, à corriger les inégalités (disparition des régimes spéciaux), à prendre mieux en compte la pénibilité et les carrières longues, à favoriser la retraite progressive, à remonter le niveau minimum des retraites. Qui est contre ?

Mais on pourrait sans doute faire mieux, et cela supposerait moins d’idéologie et plus de courage. Je propose les pistes suivantes (dans le désordre) :

  • Epauler le régime de la répartition (qui représente plus de 98 % des retraites, mais à bout de souffle) en injectant une dose de capitalisation collective obligatoire (comme le PER, aujourd’hui seulement optionnel) financée à due concurrence par une réduction des cotisations aux régimes obligatoires —Jean Jaurès lui-même la défendit dans un article de 1909 dans…L’humanité[7] . La capitalisation (via les fonds de pension), c’est aussi le moyen de reconquérir des degrés de liberté dans le domaine de la souveraineté économique (la propriété de nos entreprises) ;
  • Réexaminer la situation avantageuse des fonctionnaires (surtout de l’Etat), provisionner les retraites des fonctionnaires de l’Etat et recréer une caisse de retraite des fonctionnaires de l’Etat ;
  • Supprimer pour de bon les régimes spéciaux (ceux qui ne survivent que grâce à la manne publique) en renonçant à la clause dite du « grand-père » ;
  • Prendre mieux en compte l’espérance de vie des différentes catégories (un ouvrier meurt plus tôt qu’un cadre supérieur) ;
  • Réfléchir davantage au sort des seniors, et comment atténuer le ‘big bang’ séparant un avant du travail à temps plein d’un après désoeuvré et coupé du lien social et de ce sentiment de plénitude que crée l’activité utile même bénévole (je renvoie à un article d’Hervé Chaygneaud-Dupuy dans La Croix).

« Gouverner c’est choisir », écrivit Pierre Mendès-France. Mais ne pas s’attaquer aux totems et aux tabous, c’est se condamner à de mauvais choix. Dans cette affaire, le Gouvernement risque de payer le prix de ses maladresses (l’excessive focalisation sur l’âge légal de départ), mais aussi de son manque de courage. 

Cette affaire des retraites illustre aussi la faillite d’un modèle de gouvernance et de réforme trop jacobin où l’Etat impose un modèle unique d’en haut, avec d’autant plus d’autoritarisme que le système politique est plus déséquilibré (cf. sur ce blog ma critique du régime présidentiel) et plus contrôlé par la technostructure (la haute administration). Les décennies passées ont vu l’autonomie des caisses s’éroder ou disparaître, et leurs réserves raflées par un Etat impécunieux et glouton. Il faut réinventer dans ce pays des mécanismes de discussion collective (démocratique), des fabriques de consensus, et sans doute aussi raviver des corps intermédiaires plus moribonds que jamais.

Et si ce pseudo-débat (la rue qui vocifère ; le Gouvernement qui fait semblant de négocier et d’écouter ; l’opposition largement incapable de contre-proposer de façon constructive) n’était qu’un nouveau symptôme de l’essoufflement de notre démocratie ?

PS : En voyant sur les écrans ces cortèges de manifestants (dont des lycéens…), je ne pouvais m’empêcher aussi de penser : quel est le sens de cette protestation ?  Et je me disais que notre pays n’avancera pas tant qu’on préférera la manipulation et la désinformation au traitement sérieux et responsable des problèmes. Le sujet n’est pas nouveau. Il s’agit de la culture civique d’un peuple. Ce chantier commence à l’école.


[1] Loi (de Vichy) du 14 mars 1941 (qui a introduit la répartition) : « Lorsque le nombre des retraités croît avec l’élévation de l’âge moyen de la population, le service massif des pensions impose un fardeau insupportable aux éléments productifs. » Ordonnance du 19 octobre 1945 : « L’insuffisance de la natalité entraîne un vieillissement lent et progressif de la population. Or, les retraites sont supportées par les travailleurs en activité ; la fixation d’un âge trop bas de l’ouverture du droit à la retraite ferait peser sur la population active une charge insupportable ».

[2] Les taux de fécondité s’établissent actuellement à 1,67 en moyenne dans les pays de l’OCDE, soit un niveau bien inférieur à celui qui garantit le remplacement de la population (Source : OCDE, pour 2020).

[3] L’auteur peut en parler : il a cotisé à la CNRACL, la caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.  Il n’y a plus de caisse de retraite des agents de l’Etat depuis 1853. Les dépenses et recettes de ce régime sont retracées dans un compte d’affectation spéciale (hors du budget de l’Etat mais voté chaque année par le Parlement) géré par un service de la DGFIP. Les dépenses (pensions) se sont élevées à quelque 60 milliards d’euros en 2021. Le taux de cotisation employeur pour la retraite des fonctionnaires civils de l’Etat est de 74,28% (il n’y a pas de régime complémentaire), soit un montant bien plus élevé que pour les salariés du privé (1,90% sur la totalité de la rémunération + 8,55% dans la limite du plafond de la sécurité sociale pour le régime de base : de 4,72% à 12,95% selon la tranche de salaire pour la retraite complémentaire Agirc-Arrco). Il est vrai que l’assiette de cette cotisation est le traitement indiciaire brut, impliquant l’exclusion de la grande majorité des primes. Le mystérieux bienfaiteur qui finance ces largesses n’est autre que le contribuable. 

[4] Subvention de l’Etat de 4 milliards d’euros en 2021 pour SNCF et RATP. Source : Rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique, Annexe au Projet de loi de finances 2023.

[5] En 2021, 56,0 % des personnes de 55 à 64 ans sont en emploi. Ces taux sont au plus haut depuis 1975, mais le taux d’emploi des seniors en France est inférieur à celui de la moyenne de l’Union européenne, qui est de 60,5 % (plus de 70% en Allemagne et Suède). Source : DARES.

[6] 397 038 personnes ont cumulé en 2019 une activité salariée relevant du régime général avec une pension de ce régime.

[7] Le Plan d’épargne retraite (PER), qui est un mécanisme de capitalisation, reste optionnel.  Fin juin 2022, 3,4 millions d’assurés détiennent un PER pour un encours de 41,4 milliards d’euros. Source: France assureurs.

Une réponse à « Retraites : une réforme indispensable, mais pas forcément celle du Gouvernement »

  1. Avatar de MAILLARD Raymond
    MAILLARD Raymond

    Je devais bénéficier d’un régime spécial dit « Multi-Employeurs ». J’en avais une centaine, mais 2 principaux m’employant à plein temps. C’était possible à l’époque (avant 2007). « On » m’a obligé a cotiser plus du double du plafond de la sécu pendant 25 ans, pour la retraite comme pour la maladie. La bonification de retraite du régime général que je devais toucher était quand même limitée à une demi retraite: 700€ par mois en 2007.

    Un décret à effet rétroactif, pris par sarkozy après mon départ à la retraite m’a privé de cette bonification . On ne m’a pas remboursé mes cotisations.

    En ce qui concerne le « deuxièmement », tu ne parles pas des régimes spéciaux des présidents, du sénat, etc. UN DÉCRET À EFFET RÉTROACTIF DOIT LES PRIVER DE TOUS LES AVANTAGES DE RETRAITE QU’ILS SE SONT OCTROYÉS DEPUIS DES DÉCENNIES. LES FAIRE AUSSI RENONCER À TOUS LES AVANTAGES PARTICULIERS DONT ILS PROFITENT, PROTECTION, LOCAUX, PERSONNELS, VOITURES, ETC. Et les faire rembourser ce qu’ils n’auraient javais dû percevoir. Et faire rembourser les conjoint(e)s survivant(e)s. C’est une première condition pour qu’on fasse seulement attention à ce qu’ils prétendent faire subir aux autres.
    LE MÊME RÉGIME POUR TOUS.
    Pour ce qui est des systèmes à inventer pour remplacer la seule répartition, il faudrait commencer par inventer une fiscalité moins injuste et moins aberrants que celle que nous subissons aujourd’hui et que veulent aggraver la majorité des Français et des politiciens (ISF et IFI). Comment est-ce possible en « démocratie »?

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