
L’avantage de la bêtise c’est qu’elle nous permet de découvrir des abysses de l’âme humaine encore insoupçonnés.
Tout récemment (août 2023), la chanteuse Juliette Armanet a qualifié de « droite » des chansons de Michel Sardou en se pinçant le nez de dégoût.
Et alors ?
J’écoute avec plaisir depuis longtemps des chansons de Léo Ferré, Jean Ferrat, Barbara, etc. réputés de gauche ou plutôt classés à gauche, sans état d’âme, encore moins de répulsion. Et j’espère qu’on peut encore lire du Céline (comme je peux lire Aragon), sans être arrêté par leurs dérapages politiques (l’antisémitisme de l’un, l’apologie de Staline chez l’autre).
Cette embardée verbale de cette jeune chanteuse est un indice supplémentaire de la progression inquiétante de cette intolérance, typiquement « woke », dont on voit les métastases s’infiltrer dans des secteurs de plus en nombreux de la vie culturelle.
Il y a aussi tous ceux qui s’émeuvent, s’alarment, s’offusquent de ce que certains journalistes et medias puissent ne pas appartenir à la gauche, et au progressisme – le « camp du bien » -, dont la phalange bien compacte domine le paysage médiatique, avec le Monde, Libération, et les médias dits de « service public » en avant-garde. Ce sont les nouveaux « chiens de garde » 1, prêts à aboyer, fondre et mordre sur quiconque ose une voix dissonante dans le choeur bien-pensant. Un journaliste, un journal, une chaîne de TV qui s’écarte de la ligne – c’est à dire qui ne pense pas comme eux – est immédiatement étiqueté d’extrême droite, la marque ultime d’infamie, et diabolisé.
Enfin, cette nouvelle intolérance n’épargne pas les livres eux-mêmes, même ceux auxquels leur succès dans la longue durée mérite l’appellation de classiques. Dans le monde anglo-saxon d’abord, mais aussi maintenant chez nous, on commence à ré-écrire (ripoliner) des livres de fiction (et aussi des films), d’Agatha Christie, Ian Fleming, Roald Dahl, j’en passe, pour en expurger les contenus qui pourraient « offenser » certains publics réputés sensibles. Illustration de la cancel culture appliquée à la chose écrite. Certes, on ne brûle pas (ou pas encore) les livres suspects dans de gigantesques autodafés comme sous le nazisme, ou sous Daech (l’Etat islamique) 2, mais on arrive à un résultat similaire : l’intention, les mots de l’auteur sont modifiés sans son consentement (dans les trois cas cités précédemment, il est mort) 3. C’est mettre le doigt dans un engrenage, dont on ne sait où il s’arrêtera. Dans 1984, le héros de George Orwell, Winston, officie au Ministère de la Vérité (Miniver en novlangue), où son travail consiste à remanier – c’est à dire réécrire – les archives historiques afin de faire correspondre le passé à la version officielle (et parfois changeante) du Parti. L’histoire n’existe plus ; la vérité n’existe plus ; seulement une version provisoire qui correspond aux demandes politiques du présent.
Il n’y a certes pas en Occident un pouvoir totalitaire comme dans la fiction dystopique d’Orwell, mais une idéologie qui a des penchants totalitaires. Le wokisme en est une branche, comme l’une des têtes de l’hydre (cf. mon article sur ce blog).
Attention, la liberté d’expression est un bien précieux, mais fragile. Tous ces petits ou grands coups de canifs annonciateurs d’une nouvelle censure idéologique à grande échelle requièrent de notre part la plus grande vigilance.
Notes :
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