
« Si l’on veut vivre comme au Yémen au XVe siècle, il ne faut pas s’installer à Barbès, mais retourner au Yémen« .
Georges Frèche, ancien député-maire de Montpellier, PS (Entretien publié dans Le Figaro, 20-21 juillet 1991)
Dans un premier article, j’ai présenté les chiffres montrant que la France connaît depuis le début de ce siècle une vague d’immigration sans précédent, que n’a motivée ni le besoin de compenser les saignées d’une guerre meurtrière, comme après la première guerre mondiale, ni celui de combler le manque de main d’oeuvre que nécessitait la croissance forte des « trente glorieuses ». La France fait aujourd’hui face à une immigration largement subie, et d’une nature très différente des immigrations précédentes, puisqu’elle provient de façon croissante de pays africains et/ou musulmans. Sans inflexion radicale de politique en France et dans l’Union européenne, cette vague d’immigration s’amplifiera. Ces évolutions exposent notre pays à des défis, dont la description est l’objet de ce second article.
Un premier type de défis, c’est la mise à l’épreuve des capacités d’accueil de la France
Dans un pays à la croissance ralentie, où les marges de manoeuvre budgétaires sont annulées par le poids déjà excessif des prélèvements et de la dette publique, où le système scolaire, en crise, a cessé de jouer son rôle moteur dans la réalisation de l’égalité des chances, où le système de santé est en déclin, où l’offre de logements n’arrive pas à suivre la demande (ce qui n’est pas contradictoire avec la baisse actuelle des prix à l’acquisition), l’accueil de plusieurs centaines de milliers d’immigrés et leur répartition très inégale sur le territoire national1 pousse à leurs limites les capacités d’accueil de la France.
Moins qualifiés (près d’un actif immigré sur trois n’a pas de diplôme contre moins d’un sur dix pour les actifs non immigrés) ne maîtrisant pas toujours bien le français, les immigrés sont bien moins insérés dans le marché du travail. En 2021, un peu plus d’une personne sur cinq âgée de 15 à 64 ans est immigrée ou descendante d’immigré contre une sur six en 2005, et 4,7 millions de personnes en âge de travailler sont nées étrangères à l’étranger. Mais le taux d’emploi des immigrés et des descendants est plus bas que celui des personnes sans ascendance migratoire (respectivement 61 % et 59 % vs. 69 %) et leur taux de chômage plus élevé (13 % et 12 % vs. 7 %). C’est surtout le cas pour ceux d’origine non européenne et plus particulièrement pour les femmes, par ailleurs peu présentes sur le marché du travail2.
Les immigrés sont surreprésentés parmi les ouvriers et les employés et sous-représentés chez les cadres ou les agriculteurs. Ils occupent souvent des emplois dont la pénibilité physique conjuguée à des salaires et autre conditions de travail peu attractifs (restauration, construction, propreté, abattage des animaux, etc.) rebute les autochtones. Cela motive pour partie les dispositifs assouplis (y compris via la régularisation de clandestins) de recours aux travailleurs immigrés pour les « métiers en tension » dont la genèse remonte à … 2007, sous la Présidence Sarkozy3.
Mais le défi majeur, c’est celui de préserver notre identité, notre société et nos valeurs républicaines face à une entreprise préméditée, méticuleusement et patiemment menée, de remise en cause visant à les saper : celle portée par les différents courants qu’on regroupe sous le terme d’islamisme4.
Le problème, en effet, ce n’est pas tant qu’arrivent en France des centaines de milliers d’étrangers, même d’origine non européenne, même de confession musulmane.
Le problème c’est que la machine à intégrer et à transformer des étrangers en Français s’est enrayée, c’est qu’à rebours de ce qui était en train de se produire jusque dans les années 80, une grande partie de cette population immigrée de confession musulmane, y compris de seconde et troisième génération, ne cherche plus à s’intégrer et même ne veut plus s’intégrer, c’est à dire que —sans renoncer à sa foi et à sa pratique religieuse (ce que personne ne lui demande, impose encore moins)— elle n’accepte pas, elle n’accepte plus les valeurs, les règles, et le mode de vie des ‘kuffars‘ (les mécréants), y compris dans l’espace public où les Etats (occidentaux) sont fondés à édicter des règles pour que la vie commune soit possible5.
Ce rejet de l’intégration, il n’est pas nouveau. Le roi du Maroc, Hassan II, dans une interview célèbre il y a 30 ans, adjurait la France de s’abstenir de vouloir intégrer les Marocains, qui ne seraient jamais de bons Français6. Mais cette position était celle, plutôt marginale, d’un souverain qui craignait de perdre le contrôle de ses « sujets ».
Ce rejet contemporain de l’intégration, depuis 30 ans disons, il faut l’imputer à « la révolution salafiste »7 ou salafo-frériste, c’est à dire une entreprise (qui a réussi son ‘OPA’ sur l’Islam) de certains milieux musulmans du Moyen-Orient (appuyés et financés par les pétro-monarchies du Golfe) d’imposer leur lecture ultra conservatrice et rigoriste de l’Islam, et notamment aux populations musulmanes immigrées d’occident.
Pour partie, cette tentative répond au souci d’empêcher que ces populations ne s’acculturent et s’occidentalisent, ce qui pourrait avoir par contre-coup un effet délétère sur les populations musulmanes du Sud et le pouvoir que les autorités politico-religieuses tirent de leur allégeance à un certain type de croyance et de pratique religieuse8.
Le résultat de ces efforts de prosélytisme et d’enrégimentement des populations musulmanes originaires de l’immigration par ces réseaux religieux autour de leur lecture particulière, radicale de l’islam, en rejet total de l’occident mécréant (à commencer par la laïcité honnie), et du contrôle social exercé sur les membres de ces communautés, lui-même facilité par la concentration et la ghettoïsation de ces populations dans certaines parties du territoire national, c’est la création d’une contre-culture, c’est le communautarisme, c’est la dés-intégration.
Cette contre-acculturation ne conduit pas nécessairement, mais crée un terreau propice à la violence et au jihadisme. Il y a une grande porosité entre criminalité, salafo-frérisme et jihadisme, c’est à dire le recours à la violence contre les puissances et individus mécréants, c’est à dire occidentaux et ceux qui les soutiennent9. En effet, une idéologie qui se prétend seule détentrice de la Vérité, directement reçue de Dieu, et qui désigne l’Autre comme un vaste camp de la mécréance (Dar al-Kufr), indigne d’être respecté10, prédispose à franchir le pas, celui qui mène du quiétisme (dont se réclament en théorie les salafistes) à la violence.
Cette progression des « territoires conquis de l’islamisme » en France ne se serait pas accomplie si vite sans l’aide d’une cohorte d’idiots utiles.
Ces alliés, cette « 5e colonne » de l’islamisme en France (et en Occident plus généralement), c’est dans une certaine gauche qu’ils se recrutent, l’ultra gauche plutôt —celle que certains ont baptisée sous le terme d’ »islamo-gauchisme« 11. De Michel Foucault fasciné par la révolution khomeiniste en Iran à l’islamo-gauchisme contemporain, il y a une continuité évidente. Les déclaration troubles de La France insoumise (LFI) à la suite de l’agression meurtrière du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 illustrent la force de cette connivence. Le succès du terme « islamophobie » dans le discours public français (et européen) et son utilisation systématique dans le but de préempter et de disqualifier toute critique de l’islamisme, est un succès de leur propagande12.
Pour expliquer cette connivence, on peut invoquer d’abord le clientélisme classique surtout à l’échelon municipal (des voix en échange du soutien aux fractions islamistes : subventions, recrutements dans les services municipaux). Un exemple emblématique est la commune d’Aubervilliers, sous gestion communiste (en gros, jusqu’en 2020)13. Certains partis, LFI en tête, jouent à fond la carte du soutien à l’immigration et son corollaire escompté (la « créolisation » de la France : mot d’ordre de Jean-Luc Mélenchon) dans le but d’en tirer des voix, ou au pire de déstabiliser le pays, le chaos pouvant faciliter l’avénement du « grand soir ».
Mais le phénomène le plus intéressant, peut-être le plus troublant, c’est l’hybridation entre islamisme et wokisme. On peut trouver en effet une certaine convergence entre islamisme et certaines des thématiques du wokisme. Les jeunes islamistes nés et ayant étudié en Occident puisent allègrement dans l’arsenal conceptuel et le registre lexical woke pour affûter leur dialectique anti-occidentale. Selon l’universitaire Lorenzo Vidino qui a étudié cet « islamisme woke » :
« Le puissant anticolonialisme de l’islamisme, son rejet de ce qu’il perçoit comme des constructions sociales et économiques imposées par l’Occident, son antiaméricanisme et son antisionisme ainsi que sa capacité à mobiliser les masses ont suscité l’admiration de larges pans de la gauche occidentale« .
« La tendance à cibler la whiteness («blanchité») et la supposée tendance dominatrice de l’homme blanc et sa prétendue responsabilité dans la plupart des malheurs du monde sont, par exemple, parfaitement adaptées à une idéologie comme l’islamisme, né dans la première moitié du XXème siècle en opposition au colonialisme et qui, depuis, a imputé à l’Occident une grande partie des problèmes du monde musulman. De même, des formes radicales de politique identitaire correspondent parfaitement à la revendication de longue date des islamistes occidentaux selon laquelle les communautés musulmanes occidentales devraient avoir le droit à leurs propres structures sociales, éducatives et juridiques distinctes« 14.
Le danger, pour nous Français, c’est de tomber dans l’amalgame simpliste, c’est de faire un bloc indifférencié de tous ces Musulmans, dont beaucoup souhaiteraient s’intégrer dans leur pays d’accueil et y vivre en bons citoyens respectueux de ses lois, dans la paix et la bonne entente avec tous leurs concitoyens quels que soient leur couleur de peau, leur confession, leurs idées politiques, leurs moeurs, et leurs goûts. En un mot de faire société, et non pas —comme y tendent les islamistes— de s’enfermer dans des communautés de plus en plus séparées et dont on attise l’hostilité mutuelle par une idéologie d’une intolérance folle.
Le drame donc c’est que la dés-intégration ne s’exerce pas seulement contre la France, et son modèle de société, elle nuit aussi et peut-être avant tout à ces gens de bonne volonté qui avaient rêvé de devenir Français, —rêve que la réactivation d’un Islam rigoriste et sectaire15, intransigeant dans son hostilité à l’Occident et téléguidé du Sud, compromet peut-être irrémédiablement.
Notes :
- La population immigrée est plus concentrée sur le territoire que la population non immigrée. Les immigrés résident fréquemment dans les grandes agglomérations urbaines, en particulier en Île-de-France (37 % des immigrés y habitent). En 2020-21, 20 % de la population parisienne est immigrée, et 32 % de la population de Seine-Saint-Denis (contre 10 % de la population en France hors Mayotte). Dans le Rhône (agglomération lyonnaise) et dans les Bouches-du-Rhône (agglomération marseillaise), respectivement 13 % et 11 % de la population est immigrée. Source : INSEE. Voir aussi INSEE. ↩︎
- Source: DARES. ↩︎
- Patrick Stefanini, Immigration. 2020. pp 85-86. ↩︎
- Ou Islam radical ou Islam politique. Je n’entre pas dans le détail des variantes de l’islamisme, de ses sources, ressorts, et relais. L’ouvrage collectif dirigé par Bernard Rougier (Les territoires conquis de l’islamisme, PUF 2020) et les livres de Gilles Kepel sont excellents. ↩︎
- Un indice récent de cette attitude c’est que selon un sondage IFOP publié en décembre 2023, 78% des musulmans jugent que « la laïcité telle qu’elle est appliquée aujourd’hui par les pouvoirs publics est discriminatoire envers les musulmans« . Source : IFOP. ↩︎
- Interview avec Anne Sinclair, 1993, Lien. ↩︎
- Rougier, op.cit, p.68. ↩︎
- Rougier (op. cit) montre bien l’importance de la perception du « péril d’une sécularisation venue du Nord vers le Sud » (p.70) comme l’un des ressorts de l’offensive salafiste au Nord, c’est à dire en Occident. ↩︎
- Qu’on songe à Mohamed Mérah à Toulouse, aux frères Kouachi, Amédy Coulibaly, etc. A noter également la violence exercée contre les Musulmans qui ‘collaborent’ avec les ennemis présumés de l’Islam, comme les Etats occidentaux, et français au premier chef. Parmi les victimes de Mérah et des frères Kouachi figuraient des Français de confession (réelle ou présumée) musulmane fonctionnaires de l’Etat : Mohamed Legouad, Abel Chennouf, Imad Ibn Ziaten (militaires tués par Mérah à Montauban et Toulouse), et Ahmed Merabet (policier assassiné par l’un des Kouachi à Paris). Le poète d’origine syrienne exilé en France Adonis (Ali Ahmed Saïd) a consacré un livre d’entretiens courageux sur ce sujet : Violence et Islam. Seuil, 2015. ↩︎
- Coran 71:26 : « Ne laisse sur la terre aucun habitant qui soit au nombre des incrédules » ; cité par Adonis (cf. note 8). ↩︎
- Le terme a été forgé par le philosophe Pierre-André Taguieff. ↩︎
- Comment ne pas relever qu’il n’existe pas de terme « Christianophobie » alors que la religion chrétienne est moquée, critiquée depuis longtemps, et sans doute aujourd’hui la religion la plus persécutée au monde. ↩︎
- Monographie édifiante dans le livre de Rougier, op. cit. ↩︎
- Interview dans Le Figaro. 3 juin 2022. Lien. Voir aussi son étude pour la Fondapol. Lien. ↩︎
- « totalitaire » même selon Mohamed Sifaoui, journaliste « né dans une famille musulmane« , et auteur des Fossoyeurs de la République (Editions de l’Observatoire, 2021), une enquête sur l’islamo-gauchisme. ↩︎
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